Thème 5 - Étreinte nocturne

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- Oui, oui, je sais, tu veux sortir. On va y aller, mon pépère.


Je saisis entre mes mains la tête de mon Colley et plaquai mon front contre le sien. Ce geste affectueux l'avait toujours apaisé, depuis qu'il était tout petit, et permit ainsi de calmer quelque peu son impatience. Je me relevai ensuite pour attraper laisse et manteau. Je revêtis ma chaude protection, enfilai le collier autour du cou de mon compagnon et ouvris la porte. Le froid qui s'engouffra alors nous fit frémir tous les deux. Il nous fallait vraiment une bonne dose de volonté pour affronter les températures hivernales, à une heure si tardive. Mais, que voulez-vous, il n'était pas question de déroger à nos habitudes quotidiennes.

C'est donc bien emmitouflés dans nos fourrures respectives que nous entamions notre promenade nocturne. Chaque soir, avant de rejoindre Morphée, nous allions arpenter les rues désertes, profitant du calme que nous offrait ce moment, pour un dernier instant de partage. J'aimais ces balades au clair de lune, la quiétude qui régnait, ainsi que le froid sec et revigorant. Ces sensations m'apaisaient et m'aidaient à passer une nuit reposante et réparatrice.

Pourtant, en franchissant ma porte, ce soir-là, quelque chose m'interpella immédiatement. Du coin de l'œil, il me sembla voir une silhouette, tapie dans l'ombre, à quelques mètres de ma demeure. Je fixai avec attention les ténèbres, afin de mieux distinguer et de m'assurer que cette vision était bien réelle, mais rien ne bougea ou ne se précisa. J'enfouis mon menton dans le col de ma parka et chassai ce mirage de mon esprit. Tout était bien sombre et j'avais, sans aucun doute, mal vu.

Toutefois, à mesure que je progressais, un sentiment de mal-être vint s'immiscer en moi. Je me sentais épiée, observée, suivie. Je jetais des coups d'œil par-dessus mon épaule, espérant apercevoir l'objet de mon trouble, mais je n'avais derrière moi que l'obscurité et le néant. J'accélérai le pas, de plus en plus mal à l'aise, tandis que mon palpitant commençait à s'emballer et que ma respiration s'accélérait, laissant de longs nuages de fumée blanche sortir de ma bouche entrouverte. Sans aucune raison apparente, j'eus l'envie irrépressible de retourner chez moi, de faire demi-tour. J'en étais sûre, je n'étais plus seule et quelque chose me guettait, sans que je puisse rien voir. Alors que la panique me gagnait et que je tournais les talons précipitamment afin de rentrer à l'abri, mon chien, jusque-là si calme, s'arrêta brusquement. En appui sur ses pattes avant, tête baissée, il se mit à émettre un grognement sourd, annonciateur de danger imminent. Je me figeai sur place, à l'affut du moindre mouvement suspect.

Sans que je puisse réagir, avec une vivacité surnaturelle, une forme s'abattit sur moi. Je fus soulevée dans les airs, lâchant la laisse sous le coup de la surprise. Il me sembla quelques instants que mon corps ne touchait plus le sol, avant d'être violemment projeté en arrière et d'atterrir avec fracas contre un mur en brique. Le choc fut si brutal que je sentis l'os de mon coude se briser, en même temps qu'une vive douleur remontait de mon membre meurtri, jusque dans mon biceps. Je voulus pousser un hurlement d'effroi et de souffrance, mais une main vint se plaquer sur ma bouche. Aussitôt, je m'arrêtai de respirer, tétanisée. Je fixais, interdite, l'être qui me retenait prisonnière, enfonçant mon regard dans le bleu intense de son iris.

Je ne puis expliquer ce qu'il se passa alors et comment le temps suspendit son vol, mais mon état changea en une fraction de seconde. Je plongeai dans l'océan de ses yeux et m'y noyai avec délectation. Je ne sus pourquoi ni comment, mais j'étais sous le charme, hypnotisée par ce que je voyais. La souffrance avait disparue et il ne restait plus que ses grandes prunelles, puits sans fond dans lequel je tombais avec volupté. Une sensualité indescriptible se dégageait de celle qui me maintenait sous son emprise. Je ne comprenais pas cette attirance soudaine, mais dès lors, je ne désirais qu'une chose, que cette créature lascive m'autorise à goûter avec elle aux plaisirs interdits.

Elle abaissa sa main délicate le long de mon visage, la faisant glisser jusqu'à la limite de ma décence. Je m'abandonnai dans ses bras, lui faisant ainsi comprendre que j'étais sienne et qu'elle pouvait faire de moi ce qu'elle désirait. Avec adresse, elle remonta jusqu'aux boutons de la barrière de tissu, qui jusque-là couvraient ma chair. Elle les défit dans un mouvement vif et je savourai alors le contact charnel de sa peau contre la mienne. La froideur qu'elle dégageait affola mes sens et attisa en moi une flamme brûlante et dévorante. Je sentis monter le désir, le désir irrépressible, de celui que l'on veut faire durer éternellement. Elle pencha vers moi sa tête, dans un mouvement gracile, et m'effleura de ses lèvres pulpeuses. Je ne pus retenir un gémissement, qui s'échappa malgré moi, pour venir mourir au creux de son oreille. L'être surnaturel entrouvrit alors sa bouche et tandis que son souffle chaud venait me caresser, il enfonça ses canines dans mon cou, déchirant ma peau d'une entaille extatique. Sa morsure déclencha en moi ce moment tant attendu et tout mon être s'embrasa. Chaque muscle se tendit. Une tornade naquit au creux de mon ventre et tournoya, me faisant perdre la raison. Je m'accrochai à mon partenaire éphémère, dans une ultime étreinte, espérant ainsi le garder à jamais en mon sein.

Au moment où cet instant disparaissait, mes forces m'avaient abandonnée. Mon âme avait été épuisée par l'intensité de cette étreinte et tout mon être réclamait désormais le repos. Tandis que les secondes s'égrainaient, je laissais mes bras retomber et mes jambes ne plus me soutenir. Seule la puissance de ma maitresse fugace m'empêchait de m'affaisser sur l'asphalte humide. Ce n'étaient plus mes forces, mais désormais ma vie qui me quittait. Cela m'importait peu, car si celle qui m'avait offert ce baiser était la Mort, alors je la désirais ardemment, car elle avait le goût du Paradis.

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