Thème 7 - Cendrillon pète un câble

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Permettez qu’en guise de préambule, je rappelle ici les faits et l’instant où nous reprenons cette histoire. Je ne vous ferai pas l’affront de vous la conter depuis le commencement, mais simplement de vous remémorer que le troisième soir où Cendrillon vint au bal du roi, son fils avait pris soin d’enduire l’escalier de poix. La belle, dans sa précipitation, y laissa son soulier doré. Fort de cette trouvaille, notre prince partit dès le lendemain chercher celle qui pourrait y glisser son pied. Les pigeons, amis de notre héroïne, le guidèrent jusqu’à sa demeure. Dans le but de fourvoyer l’amoureux transi et d’obtenir ses bonnes grâces, les sœurs de Cendrillon se coupèrent successivement l’orteil et le talon, pour rentrer dans la délicate chaussure. Les pigeons alertèrent Son Altesse en lui indiquant le sang qui maculait la pantoufle. Lorsque le prince demanda s’il restait encore une fille dans la maison, l’on fut bien obligé alors d’aller lui quérir la souillonne. C’est en ce point précis que notre histoire reprend et que la véritable fin vous est ici dévoilée.

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Alors que le fils du roi tenait le soulier, Cendrillon vint s’incliner devant lui. Il lui tendit alors la chaussure, tandis qu’elle s’asseyait sur un escabeau. Elle retira son pied du lourd sabot et commença à l’introduire dans la pantoufle. Elle eut beau forcer, tenter de l’y faire glisser en poussant, rien n’y fit. Jamais son membre ne pénétra dans l’écrin qui lui était destiné. En effet, la veille au soir, elle avait fui le palais, les pieds nus, dénués de leur sublime protection. L’obscurité et la précipitation lui faisant perdre ses repères, elle ne distingua point le champ d’orties dans lequel elle s’engouffra. L'extrémité de ses jambes, ainsi mise à mal durant la nuit, avait enflé tant et si bien, qu’au petit matin, c’était à peine si elle rentrait encore dans ses vieux sabots.

Lassé d’avoir vainement perdu son temps, le fils du roi se releva et partit, de forte mauvaise humeur. La souillonne tenta de se faire entendre, arguant qu’elle possédait l’autre pantoufle, mais plus personne ne l’écoutait. La belle-mère et le père raccompagnaient leur hôte, essayant par de mielleuses paroles d’apaiser son courroux, tandis que les deux sœurs se lamentaient et pleuraient sur leurs membres meurtris. Voyant ses espoirs de gloire et de grandeur s’envoler, la pauvre enfant s’enfuit, les yeux emplis de larmes et se réfugia auprès du foyer, dans la suie et les cendres. Elle resta ainsi, la tête enfouie dans ses bras, en proie au désespoir et à une infinie tristesse.

Agacée d’entendre ses gémissements, sa belle-mère la rejoignit.
— Il suffit, cessez de vous plaindre. Vos pieds de souillon ne pouvaient rentrer dans un objet si fin et délicat ! Estimez-vous heureuse d’avoir encore vos orteils et vos talons ! Relevez-vous ! Pensez-vous que cette maison va se nettoyer seule ?

Sur ce, elle jeta à ses côtés seau et balai et s’en retourna à ses occupations. Ce fut l’humiliation de trop, celle qui transforma à jamais le cœur bon et pieux de la jeune fille. Aussi soudainement que les larmes étaient venues, elles cessèrent. Cendrillon se releva, comme il lui avait été ordonné. Du revers de son bras, elle essuya l’eau qui perlait encore sur son visage. Elle se tenait droite devant l’âtre et ses traits étaient désormais dénués d’expression. Son regard avait également changé de teinte : plus aucun désarroi n’y persistait et ses yeux brûlaient dorénavant d’une lueur sombre et maléfique. Sans un mot, elle s’avança vers la cuisine. Sur la table, elle saisit le grand couteau destiné à trancher viandes et légumes. La démarche mécanique, comme poussée par quelque force malfaisante, elle se dirigea vers le salon, où sa marâtre tentait de prodiguer les premiers soins à ses filles blessées. Chacune des trois femmes lui tournait le dos de la sorte qu’elles ne purent la voir arriver.
Parvenue à la hauteur de celle qui depuis tant d’années causait son tourment, elle leva son bras vengeur et abattit l’arme sur son échine. Ce qu’il se passa ensuite ne peut être narré. Rappelons qu’il est question ici d’un conte pour enfants et qu’il ne serait pas opportun de raconter comment la belle massacra celles qui lui avaient occasionné tous ces torts. Nous préciserons simplement que les cris alertèrent le père de famille. Ayant laissé sa femme agir contre son unique fille sans jamais intervenir, il ne fut pas épargné par le châtiment impitoyable qu’elle lui réservait. 

Ses représailles achevées, et tandis qu’un sourire de macabre satisfaction se dessinait sur ses lèvres, notre jeune meurtrière alla quérir un grand sac, habituellement destiné à entreposer les victuailles, afin de le remplir avec toute l’argenterie et les bijoux qu’elle trouva. Elle sortit ensuite enterrer son butin sous le noisetier, près de la tombe de sa mère. Une fois son méfait accompli, elle ébouriffa ses cheveux et déchira ses vêtements maculés de sang. Il ne lui restait plus qu’à aller chercher la maréchaussée pour parfaire son crime.

Lorsque les enquêteurs sur place se rendirent, ils furent horrifiés par l’épouvante qui s’offrait à leurs yeux. La seule rescapée de cette occision leur conta qu’une bande de brigands s’était introduite dans son logis, dans l’intention de dérober les biens matériels de la famille. Ces vauriens assoiffés de sang avaient assassiné tous les occupants, afin de couvrir leur forfait. La pauvrette, dont nul se souciait, était parvenue à se cacher dans une armoire et s’y était terrée, paralysée par la peur. Lorsqu’enfin elle avait osé sortir, il était déjà trop tard et tous ceux, qui à son cœur étaient chers, avaient péri.

À la suite de ce regrettable incident, Cendrillon, désormais unique héritière, disposa de la fortune de son défunt père. Oyant parler de cette riche orpheline et de son histoire sordide, le fils du roi vint curieusement lui rendre visite. Il fut charmé par la beauté de cette jeune fille. Cependant, la belle n’avait point oublié que peu de temps avant, il avait eu l’outrecuidance de la rejeter, lorsqu’elle s’était présentée à lui sale et repoussante. Elle refusa donc ses avances et le congédia.

C’est ainsi que notre bonne et pieuse enfant devint une femme accomplie, jouissant comme elle l’entendait de son corps et de sa liberté retrouvée. 

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