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Loid s'épongea le front.

Il étouffait. La sueur constellait sa peau, rougie par l'effort, imbibant le coton délavé de sa chemise. Clé en main, il resserra quelques boulons, avant de passer un coup de chiffon sur le moteur du monoplan. Loid grimaça. Il était épuisé. Le toit de taule du hangar, sur lequel cognait les rayons acérés du soleil, diffusait une chaleur humide, poisseuse. Des raies de lumière se dessinaient sur les murs dénudés de l'immense garage dans lesquels s'entassaient trois avions à la peinture effritée, révélant l'épaisse poussière qui flottait dans l'air.

Loid se frotta le bout de nez.

Mécaniquement, il essuya ses mains couvertes de cambouis sur son pantalon élimé puis, attrapant la bouteille à moitié vide qui trônait sur l'établi, avala plusieurs gorgées d'eau. L'été débutait à peine mais, déjà, le travail se faisait plus difficile. Jetant un coup d'œil au Blériot XI qu'il venait de retaper, Loid soupira, soulagé. Il avait terminé. Enfin.

Déposant sa bouteille sur l'aile, Loid s'assit sur l'établi en désordre et saisit la petite radio assoupie sous un torchon sale. Il déplia l'antenne, fit tourner les boutons. La voix enjouée d'une femme et celle, cadencée, d'un banjo percèrent l'entêtant grésillement de l'appareil. Loid sourit. La musique envahit le hangar.

Battant le vide de ses jambes engourdies, le jeune homme attendit le refrain pour se joindre aux chœurs. Son patron sortit la tête d'un cockpit désossé.

— Terminé ? lança-t-il.

Loid hocha vivement la tête et suivit des yeux la silhouette courbée du petit homme tandis qu'il inspectait le Blériot XI d'un œil expert. En très mauvais état lors de son arrivée au garage, Loid s'était acharné deux mois durant à le réparer. La plupart des pièces avaient été changées. Hélice, voilure, empennage et train d'atterrissage avaient été remplacés et les parois du fuselage, renforcées par des plaques d'acier. Le moteur, une fois nettoyé, n'avait nécessité que d'une rapide révision. Une fois la peinture refaite, le monoplan survolerait de nouveau champs et villages. Quelle fierté ce serait de l'apercevoir fendre l'air...

Loid baissa le volume de la radio.

Après avoir fait plusieurs fois le tour de l'engin, vérifié la solidité des ailes, de l'empennage, fais tourner les hélices et reniflé le moteur, le mécanicien afficha une moue satisfaite.

— Tu peux y aller.

Un grand sourire fendit le visage de l'apprenti qui sauta de l'établi et attrapa au vol son sac, pendu à un clou. Le passant en bandoulière, Loid salua le Blériot XI d'une tape amicale sur le cockpit et lança :

— À demain, patron !

Et, alors qu'il se glissait entre les deux lourdes portes du hangar, il ajouta :

— Si Laura passe par ici, je suis en ville.

— Je lui dirais, marmonna l'homme, qui retournait déjà à ses outils.

— Ah, et, pensez à prendre une douche. De temps en temps.

Le mécanicien le fusilla du regard, mais la grimace amusée qui crispait ses traits le trahissait. Rattrapant de justesse la pomme que son patron lui lança, Loid mordit dedans et, le fruit coincé dans la bouche, enfourcha la bicyclette rouillée qui l'attendait à l'entrée du garage. Il s'élança alors sur l'étroit chemin de terre et dévala à toute vitesse la petite butte sur laquelle était perché l'atelier.

Loid embrassa les plaines du regard.

Le soleil tombait lentement derrière les collines, l'éblouissant. Le vent l'enveloppait, gonflait les pans de sa chemise trempée, ébouriffait ses cheveux. La fraîcheur de l'air apaisa sa peau brûlante, le faisant frissonner. Loid dévora la petite pomme et, essuyant d'un revers de la main le jus qui lui collait aux lèvres, jeta le trognon rongé à un veau, immobile au bord du chemin, qui le regardait passer tandis que le reste du troupeau s'était allongé à l'ombre.

Mala'ika | La Chute du zeppelinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant