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Laura jeta la robe dans la bassine.

Les deux mains plongées dans l'eau savonneuse, Loid lui décocha un regard interrogateur qu'elle ignora. S'appuyant contre le comptoir de cuisine, elle fouilla les poches de sa salopette et y trouva un paquet de cigarettes défoncé. Laura joua quelques secondes avec la languette à moitié déchirée, avant d'en sortir une et de la porter à ses lèvres. Elle attrapa la boîte d'allumette posée sur l'étagère et brûla l'extrémité de sa clope. Un nuage de fumée inonda ses poumons. Elle était en colère.

— Où l'as-tu trouvée ?

Loid se crispa. Nerveux, il se mis à frotter la robe. Le sang colora légèrement l'eau. Laura expira bruyamment, lui crachant les vapeurs du tabac à la figure. Son frère ne cilla pas. Il était têtu, même lorsqu'il se savait au pied du mur.

Laura grinça des dents.

— Pourquoi a-t-il fallu que tu la ramènes chez nous ? insista-t-elle, agacée.

— Elle était blessée.

— Tu n'avais qu'à la laisser crever !

Loid se figea et la dévisagea, outré. L'incrédulité qui froissait ses traits lui fit mal au cœur. Laura se détourna. Il ne comprenait pas. Il connaissait les risques, pourtant. La jeune femme cracha un peu de fumée. Le nuage resta en suspens, flottant dans la pièce, comme ces mots qu'ils ne pouvaient se dire. Laura lui adressa un sourire amer.

— Ne me regarde pas comme ça.

Loid secoua doucement la tête et reporta son attention sur la robe qui baignait dans l'évier. De la soie. Laura avait rêvé d'en porter. C'était la première fois qu'elle en voyait et il fallait qu'elle appartienne à une fillette tombée du ciel.

Une enfant. Un véritable démon.

Ne supportant pas le silence réprobateur de son frère, Laura tira une dernière fois sur sa clope avant de la jeter dans le cendrier et d'attraper la panière en osier qui s'endormait dans un coin de la pièce. Elle sortit sans un mot et fit claquer la porte derrière elle. Une vague de chaleur la pris à la gorge. La jeune femme plissa les yeux, éblouie par l'intense lumière. Elle détestait l'été. Passant une main sur son front déjà humide, elle fit le tour de la petite maison et jeta le panier aux pieds d'un piquet, avant de ramasser rapidement le linge qui avait été étendu sur le fil.

Il allait la rendre dingue.

Loid avait toujours eu le cœur sur la main. À peine savait-il marcher qu'il suppliait les anciens de le laisser porter leurs courses. Laura le regardait faire, impatiente de voir cette gentillesse maladive se retourner contre lui. Ce jour, à l'évidence, était arrivé. Et elle n'était pas certaine de vouloir l'aider.

Cette fille ne méritait ni les pensées, ni les regards de son frère. Qu'il puisse s'inquiéter pour elle lui était insupportable.

Laura s'efforça de ravaler la colère qui menaçait de la submerger. Elle ne pouvait s'empêcher de la revoir, assise entre les draps, les deux bras entourant le vieil oreiller, les cheveux ébouriffés. Livide, son visage blême dans l'obscurité s'était levé vers elle lorsqu'elle avait poussé la porte. Le fantôme d'une enfant apeurée. Mais Laura ne put échapper à ses paupières étirées au fond desquelles roulaient deux billes d'obsidiennes. Le mépris suintait de ses yeux.

Une princesse. Elle ne pouvait être qu'une princesse.

Laura n'avait pu s'empêcher d'admirer la prestance avec laquelle elle s'était déshabillée pour lui confier sa robe tachée de sang. Elle avait dévoilée ses rondeurs et les imperfections de sa peau sans ciller. Laura serra les dents.

Mala'ika | La Chute du zeppelinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant