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Loid avala une gorgée de café.

Il grimaça. Il ne s'y ferait jamais. Adressant une œillade dégoûtée à sa tasse encore pleine, Loid se laissa tomber contre le dossier de sa chaise. Il avait mal au dos. Ses nuits dans la cuisine l'épuisaient, mais il redoutait le soir où il retrouverai son lit car, alors, elle ne serait plus là.

Loid réprima un bâillement.

Il ne savait encore rien d'elle. Son nom, le son de sa voix et cette douleur qui consumait le fond de ses yeux. Il ignorait le reste. Et brûlait de lui poser toutes ces questions qui s'entassaient dans le coin de ses lèvres. Le zeppelin s'était écrasé dans un champ, loin de Jahan'nama, peu après les collines. Le feu avait rongé la coque du navire, fait fondre la toile de caoutchouc du ballon. Dévoré les corps. L'incendie avait illuminé la nuit. Au petit matin, les paysans avaient découvert la carcasse d'acier et des couverts en argent. Le reste n'était plus que des cendres.

Loid fixait son reflet dans le fond de sa tasse.

Il ne pouvait imaginer l'horreur qui avait traversé les passagers lorsque le zeppelin avait percuté le sol. Que s'étaient-ils dit, là, debout sur le seuil ? A qui avaient-ils pensé lorsque les portes de la mort s'étaient ouvertes devant eux ? Loid frissonna. Il porta sa tasse à ses lèvres et, ignorant les spasmes angoissés de ses mains, avala la fin de son café. L'amertume lui souleva le cœur. Il toussa et grimaça de nouveau.

Il s'en voudrait de la réveiller.

Se levant discrètement, il déposa sa tasse dans l'évier et entreprit de la nettoyer. Laura le trouvait maniaque, trop soigneux pour vivre dans la misère. Son patron, lui, se moquait de ses chemises, trop propres pour un mécanicien. Loid fronça les sourcils. Ils avaient l'art de le contrarier. S'essuyant les mains sur un vieux torchon, il déposa la vaisselle dans l'égouttoir et jeta un regard dépité à sa radio. Il était encore tôt. Il avait le temps d'essayer, encore une fois, de la réparer.

Loid tendit la main vers l'appareil et sursauta lorsque la porte s'ouvrit sur un enfant en guenilles qui hurla joyeusement :

— De l'essence ! De l'essence ! On va brûler la sorcière !

Secoué par la surprise, Loid pressa une main sur sa poitrine. Son cœur sembla s'arrêter une seconde. Son regard se voila. Le souffle court, il dût s'appuyer contre le comptoir pour ne pas tomber. L'enfant le dévisagea, sans comprendre.

— Non, mais ça va pas ?

— Désolé ! s'écria-t-il, confus. J'avais oublié que t'étais cardiaque...

Loid balaya ses excuses d'un geste de la main.

— Qui est-ce que vous voulez brûler ?

— La sorcière !

— Ça n'existe pas, les sorcières... soupira-t-il.

— Si ! Même que c'est papa qui l'a trouvée.

Un sourire exalté fendit son visage rebondit. Ses joues étaient écorchées. Ses deux mains bandées serraient le cou distendu d'une peluche en lambeaux, couverte de boue séchée. Il avait l'air minuscule, engoncé dans la chemise de son père. Loid fut traversé par une vague de tendresse. Les gamins des rues débordaient d'illusions. La cruauté des Hommes n'avaient aucune prise sur leurs espoirs et ces rêves, si démesurés, qui apaisaient leurs ventres vides. Ils avaient le cœur abîmé, jamais brisé. Comme les billes de plomb qui remplissaient leurs poches trouées.

Loid se pencha et posa une main sur son crâne rasé.

— Où est-il ?

— Qui ça ? répondit l'enfant, levant vers lui de grands yeux surpris.

Mala'ika | La Chute du zeppelinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant