CHAPITRE 2

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— Ne devrait-on pas l'asseoir ? s'enquit Garance.

— Ne devrait-on pas le ligoter ? suggéra Benjamin en écho.

— Nous ne sommes pas des barbares ! Jusqu'à preuve du contraire, il ne figure pas sur la liste de nos ennemis. On appelle ça la présomption d'innocence.

Acquiesçant, Benjamin se leva et entreprit de soulever le jeune homme. Bien qu'il ne fût pas très lourd, le capitaine peina à le traîner sur les derniers mètres. Les chaussures du dormeur s'abîmèrent en frottant contre le sol. Déjà que leurs lacets sales et leur semelle décollée ne vendaient pas du rêve...

Le corps inanimé épousa maladroitement le dossier du poste de pilotage, devenu obsolète face à la dictature d'une intelligence artificielle. Garance se plaça alors face au malade, afin de l'examiner à la lueur crépitante des néons. Sur ses lèvres figuraient des tons bleutés, bien que l'habitacle du vaisseau conservât une température ambiante des plus respectables. Les deux individus sur pied retirèrent leur chandail et couvrirent le garçon frigorifié.

Garance s'en voulut de ne pas s'être préoccupée de lui plus tôt. Quand elle avait compris qu'on l'avait assommée pour la mettre dans ce lieu sordide, la panique s'était emparée d'elle, des injures s'étaient agglutinées dans sa gorge. Puisque sa vie avait été constamment confortable, protégée des conflits par ses parents, elle n'avait jamais eu à céder à la peur. Des tremblements la parcoururent en réaction à cette constatation intérieure.

— Si tu as froid, reprends ton pull, conseilla Benjamin. Le garçon est en train de perdre son teint de poupée.

— Ça va. Je le lui laisse encore un peu.

Nullement dupe, l'aîné garda le silence. Il affecta de vérifier des leviers, davantage pour se donner une contenance que par réelle nécessité. Il essayait de dissimuler sa nervosité. Avec succès jusqu'à présent. Mais quand des cognements contre une des portes fermées résonnèrent, Benjamin blanchit à rendre jaloux un cadavre.

— Enfin ! Un peu de compagnie.

Ils attendirent pendant quelques minutes, le temps que la personne qui se trouvait de l'autre côté daigne s'essouffler à cogner. Une vocifération suppliante poussa l'adolescente à s'avancer vers l'origine des bruits humains, à se baisser et à examiner la serrure. Pour toute vision, un point aveuglant la contraignit à abandonner ce geste. Les lampes fonctionnaient dans l'enceinte verrouillée, au mépris de celles du poste de pilotage.

Garance tenta de bouger la poignée. En vain. Le mécanisme branlant refusait de s'actionner. À son tour, Benjamin hasarda une technique des plus primitives, qui consistait à donner des coups de poings sur la planche blindée.

— Impossible d'ouvrir cette satanée porte ! s'énerva-t-il. Au moins trente centimètres d'acier trempé nous séparent de l'autre partie du vaisseau.

— Chut, attends.

Si la jeune fille tendait l'oreille, par-dessus son propre souffle et par-dessus les bourdonnements des machines, elle captait de faibles éclats de voix, comme une litanie lointaine.

— Elle dit que...

Garance secoua la tête négativement.

— Je ne comprends pas. Elle semble répéter la même chose... Quelque chose à propos d'une structure.

Le capitaine l'encouragea d'un signe de la main. Garance se concentra de nouveau et patienta pour que l'inconnue confirme ce qu'elle avait déjà entendu. Enfin, sous l'œil impatient de son supporter, elle réunit les éléments manquants et son visage s'illumina brièvement.

À gauche de la porte, plus bas que le regard, se trouvait une pédale que Garance enfonça avec son pied. Elle se tourna vivement vers Benjamin en le traitant d'imbécile. Celui-ci haussa les épaules, préférant se focaliser sur ce qui allait apparaître de derrière la porte.

Quelle fut leur surprise quand ils découvrirent une personne à l'aspect bienveillant. Ils s'attendaient plutôt à se retrouver nez à nez avec un pistolet prêt à les abattre à bout portant...

À la place d'un tortionnaire menaçant, une femme se balançait timidement, telle une feuille sous la contrainte du vent. Vêtue d'habits simples mais bien coupés, sa présence persistait à être insaisissable. Des cheveux châtains cascadaient jusqu'à ses épaules, leurs pointes lui chatouillant le cou. Cette coupe rendait son port de tête élégant, à condition qu'elle ne baissât pas la tête. Ses yeux, un peu trop petits, fuyaient en direction de l'horizon et donc, par extension, du garçon inconscient dans les bras d'un siège.

Benjamin et Garance se regardèrent, embarrassés, pressentant la conclusion à laquelle parvenait la nouvelle arrivante.

— Ce n'est pas vrai, souffla-t-elle en portant ses mains à sa bouche. Vous l'avez tué !

— Bien sûr que non, se défendit aussitôt Garance. Il est évanoui, tout comme nous l'étions lorsque nous nous sommes retrouvés ici. Il va s'en remettre sous peu, je vous le promets.

— Vous le connaissez ?

— Non, mais il n'a pas l'air au mieux de sa forme.

Perplexe, l'étrangère assembla ces informations avec celles qu'elle détenait déjà. Le mélange parut la satisfaire. Elle ne s'enfuit pas à toutes jambes.

Désirant lui prouver la véracité de ces propos, Benjamin débuta une courtoise présentation. Il déclina son identité, lui dit qu'il était à la retraite et, qu'au vu de leur mésaventure, il était aussi désemparé qu'elle.

— Vous pouvez aussi l'appeler « le Vieux », précisa Garance dès qu'elle se fut présentée également.

— À vos risques et périls ! Je ne répondrai qu'au nom de Capitaine, exposa Benjamin en riant, tant était-il possible de rire du pétrin dans lequel ils étaient plongés.

— Va pour Capitaine ! Je m'appelle Lilith Brown. Je n'ai rencontré que vous pour l'instant. Je me suis réveillée dans la pièce attenante.

— Enchantée ! Quel âge avez-vous ? enchaîna Garance de but en blanc.

— Un peu de tact, réprimanda Benjamin.

Lilith rougit, croisa les bras, avant de prétexter que leurs années d'existence ne correspondaient guère à une quelconque maturité et étaient donc assez futiles.

— Si nous décelons les facteurs qui nous relient, nous déduirons peut-être la raison de notre présence, argua l'adolescente. Sait-on jamais ! Moi, j'ai seize ans.

— J'en ai dix de plus, concéda la brune.

— Amatrices ! bomba le torse Ben. Je gagne haut la main, avec mes soixante-quatre ans. Mais je vous préviens : on se tutoie à partir de maintenant. Sinon je vais vraiment avoir l'impression d'être un fossile !

— Dites, s'enquit la nouvelle du groupe en reniflant autour d'elle, c'est moi ou il y a une drôle d'odeur ?

— Regarde du côté des baskets de Garance, suggéra Ben en pouffant.

— Je n'y suis pour rien ! Peut-être qu'une aération est bouchée ?

Tandis que Lilith furetait dans tous les coins, la lumière se fit dans l'esprit de Garance. En modifiant les réglages avec Ben, ils avaient sans doute fait une bêtise... Une très grosse bêtise. Il était fort probable que cette hypothèse soit juste. L'adolescente avertit ses compagnons, qui s'empressèrent de se rendre dans la salle des machines.

Akis2600Où les histoires vivent. Découvrez maintenant