CHAPITRE 3

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En plein dans le mille ! La source de l'erreur avait pour origine le bouton tourné précédemment. Et pour cause : il avait été pivoté dans le mauvais sens. La chance n'était décidément pas de leur côté. Appliquant la rectification, le capitaine se maudit de son incompétence, tout en se félicitant de ne pas avoir pris Lilith pour antagoniste. Il enviait son discernement et voulut se renseigner sur son métier actuel, envisageant qu'elle soit dans le domaine aéronautique.

— Non, pas vraiment, dévoila Lilith en se grattant machinalement le bras, là où une ecchymose fleurissait sur sa peau, comme après une mauvaise prise de sang. Je travaille dans un laboratoire de recherche. Mon frère, en revanche, bénéficie d'un petit avion de fonction. Comme il est tenu de se former sur le tas, à cause du manque de personnel, je l'assiste de temps en temps dans ses révisions techniques. Elles sont obligatoires avant de décoller.

— Nous en sommes reconnaissants, admit alors Garance. Heureusement que nous t'avons avec nous.

— Vous avez déjà croisé des avions de ce type ? demanda la présumée mécanicienne, ignorant volontairement les remerciements qui la gênaient à coup sûr.

— Jamais, exposa Benjamin. Je n'ai pas l'occasion d'en repérer dans le ciel, de là où j'habite. C'est à peine s'ils survolent la zone. La caserne est à plusieurs kilomètres, et le front à l'opposé de la ville.

Lilith dirigea son attention sur la jeune fille, qui certifia en avoir vu bien plus qu'il n'en fallait dans une vie. Les tirs croisés éclataient régulièrement au-dessus de son quartier. Vu que le marché de l'immobilier agonisait, cette proximité militaire était imposée à la population. Du reste, ce manque d'organisation arrangeait le réapprovisionnement. Des épiceries perduraient envers et contre tout, ouvertes aux civils comme aux soldats en permission. D'ailleurs, Garance se rappela qu'elle mourait de faim.

— Je suis incapable de réfléchir le ventre vide. Qui est partant pour une perquisition en bonne et due forme ?

L'idée se révélant bonne, deux mains se levèrent. Leur enlèvement n'avait pas été de tout repos. Leurs corps les punissaient de ces circonstances scandaleuses. Plus fatigués qu'ils ne l'auguraient, ils se mirent en quête d'aliments, but qui justifiait l'exploration des autres sections du vaisseau. Avant ça, Benjamin prit soin d'arracher le jeune homme inanimé de son fauteuil pour le hisser sur son dos.

— Vous validez mon nouveau sac ?

Les passagers ne pouvaient décemment pas abandonner le garçon à son sort.

— Hyper à la mode, oui, lui accorda Garance.

Dès que Lilith eut ouvert la troisième porte avec facilité, ils s'introduisirent en file indienne dans un modeste sas de moins d'un mètre de largeur. D'étranges tableaux étaient fixés aux murs, réduisant dérisoirement l'espace. Ils arboraient un style abstrait, à mi-chemin entre des Kandinsky et des Delaunay et dont l'interprétation restait libre. Mais leur signification passait au second plan : l'estomac réclamait de la nourriture non pas de l'âme, mais du corps. En plus, le capitaine peinait sous le poids du dormeur, s'affaissant sous l'effort. La visite du petit musée incongru serait pour plus tard, tout comme celle de la bibliothèque entraperçue au détour du chemin et du hamac pendu à des poutres.

Le couloir débouchait sur une passerelle extérieure, par laquelle on accédait à l'atrium. Les étrangers restèrent pantois devant ce centre évidé, le nombril de l'aéronef. Atypique, cette cour intérieure desservait les autres parties de l'engin volant. Il y avait fort à parier que son inventeur avait eu l'esprit dérangé en concevant l'architecture. Faisant vite, les trois passagers et leur cargaison traversèrent par la droite. Le panorama qui s'étalait autour d'eux était piqueté d'astres solitaires. Quand on s'arrêtait sur l'un d'eux, on pouvait se rendre compte de la vitesse du vaisseau.

— Je ne sais même où est le nord, dans tout ce merdier, jura Benjamin dans un souffle. D'ordinaire, je trouve pourtant la Grande Ourse depuis mon jardin.

Même s'il était sensible à l'immensité de l'univers, Ben ne s'y attarda pas outre mesure et dénicha une chambre aux lits superposés, où il étendit le garçon. Les filles s'associèrent afin de dégager une couverture de laine d'une pile de linge. Elles la dépoussiérèrent sommairement. Garance en profita pour constater qu'elle était plus grande que Lilith. Benjamin, quant à lui, les dépassait largement, sans pour autant être un géant. N'importe qui devinait aisément qu'il avait été friand de sport. Il perdait aujourd'hui ses capacités d'endurance au bénéfice de gestes sûrs et efficaces.

Benjamin recouvrit le garçon du plaid débarrassé de ses acariens. Il avait au préalable récupéré le chandail aux motifs fleuris de Garance, pour qu'elle ne meure pas de froid. Dès que le grand-père avait eu le dos tourné, l'adolescente s'était empressée de fouiner dans les chambres attenantes. L'emplacement des lits demeurait similaire, tous boulonnés au maximum et barrés de lattes dures. Des petites différences individualisaient les salles de repos. Certaines à la décoration austère donnaient sur le patio, tandis que d'autres bénéficiaient d'une légère luminosité grâce aux hublots.

Le jour semblait ne jamais vouloir se lever. Déçue, Garance repéra les deux autres visiteurs derrière elle. Lilith s'agitait en tenant des boîtes rectangulaires, qui ressemblaient drôlement à celles qui emballaient d'ordinaire des friandises.

— J'ai trouvé le goûter ! On va se régaler.

La cuisine se situait donc en terrain opposé ; Garance avait mal parié sur le plan. En même temps, pour sa défense, l'orientation n'avait jamais été son point fort. La jeune fille s'empressa de piocher un sablé dans le sachet. Lilith en profita pour se servir aussi. Tant pis pour le sucre. Elle méritait un repas moins équilibré aujourd'hui.

Pendant qu'ils mâchaient leurs biscuits secs, l'aéronef poursuivait inlassablement sa route, s'éloignant de tout ce à quoi ils étaient habitués. Les lunettes de Garance ne corrigeaient qu'approximativement sa vue et ne lui avaient donc pas permis de voir qu'un chasseur les suivait. Zigzaguant vers son obscure destination, l'appareil se mouvait avec précision. Ses canons étaient chargés à bloc, prêts à tirer.

Conformément aux dispositions prises par notre alliance, l'expédition a été lancée ce matin même, entendait-on sur Akis2600, à la radio cryptée. C'est une réussite.

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