CHAPITRE 7

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— J'ai la berlue, je vois double, lâcha le capitaine en pointant son doigt sur l'étranger, au comble de l'impolitesse. Vous n'êtes qu'un copieur !

Garance tiqua, se massant le cou.

— Ce n'est toujours pas ce qui est écrit sur vos chandails.

Les deux hommes baissèrent leur tête. Ils portaient le même pull, récupéré au fin fond d'une armoire, sur des cintres abandonnés, dans le dressing de l'ancien équipage.

— Vous avez du goût, complimenta l'inconnu qui avait failli assassiner Garance. Qu'est-ce que je fais là, paumé au milieu de la galaxie ?

— Vous faites le crétin, s'insurgea Lilith. Vous nous avez fichu une de ces trouilles ! Nous ne sommes pas vos ennemis.

— Désolé, s'acquitta-t-il, ne s'excusant pas du tout.

Leur adversaire n'était rien d'autre que le garçon inconscient qu'ils avaient déplacé dans une chambre. Il s'était visiblement décidé à se réveiller. À présent, les trois inconnus le dévisageaient, revendiquant probablement des explications. Lui tergiversait sur la marche à suivre.

Ils étaient supérieurs en nombre et formaient un groupe soudé, bien qu'en réalité, ils s'unissaient seulement sous la contrainte. Même si le vieux serait facile à battre, le trio lui donnerait du fil à retordre. Par-dessus le marché, le jeune homme avait la nausée, comme si un tambour battait sans discontinuer sous son crâne.

— Vous aussi, se justifia-t-il bêtement, vous m'avez fait peur.

— Je déchiffrais des pattes de mouche quand cet abruti m'a sauté dessus, raconta Garance en se recoiffant. J'ai été surprise, et lui aussi quand Ben a essayé de le cogner.

— Pas la peine d'en faire tout un plat, se rembrunit le garçon. Je vous avais pris pour les méchants... Vous me confirmez que vous n'en êtes pas ?

— Oui, nous on est les gentils, dans le camp des perdants, informa le capitaine après avoir épousseté sa tenue. On va tous se dessécher sur ce maudit vaisseau comme des prunes rabougries, sans même savoir pourquoi. Mais tu as de bons réflexes qui te sauveront peut-être. Comment t'appelles-tu ?

— Alastar, comme la moitié des habitants d'Akis2600.

Un prénom tout à fait adapté à leur univers stellaire, où naviguer d'une planète à l'autre s'accomplissait en un tour de main. Ils énumérèrent leurs noms. Les présentations faites, Benjamin continua :

— J'espérais que tu pourrais nous en apprendre davantage.

— Navré, réitéra-t-il. Je ne me souviens de rien. J'étais à l'usine et boom... Amnésie.

— À l'usine ?

— C'est un interrogatoire ?

— Tu peux le considérer ainsi, oui.

Le jeune garçon souffrait d'un terrible mal de tête que la discussion ne faisait qu'empirer. Il n'avait pas envie de faire un brin de causette avec ce vieillard qui se la jouait cool. En revanche, la fille qui se nommait Garance, elle, paraissait beaucoup plus drôle. Ses cheveux rebiquaient en formant des épis et son vernis turquoise s'effritait. De son côté, la brune n'était pas mal non plus, à condition qu'elle renonce à sa rigidité et qu'elle rajeunisse un peu. Elle remonta dans son estime quand elle vint à son secours :

— Laissez-le récupérer. Nous avons toute l'éternité pour lui poser des questions.

Alastar se dépêcha de leur fausser compagnie tant qu'ils ne protestaient pas. Il s'enfonça dans les profondeurs du gigantesque aéronef.

Cent ans auparavant, l'appareil avait été le roi du ciel, qu'un œil malavisé aurait confondu avec une soucoupe volante. Son gabarit herculéen avait dû héberger des princes en fuite et servir agressivement leurs intérêts. Les rénovations qu'il avait subies désenchantaient son existence. Le vaisseau appartenait à une époque révolue. Il détonnait aujourd'hui dans un monde qui n'était plus le sien. Sa peinture s'était défraîchie en raison des intempéries, dévoilant son antique faste.

Le périple d'Alastar l'entraîna jusqu'à une alcôve, où il trouva des cachets contre la migraine. Les toiles d'araignées peu engageantes l'incitèrent à consulter la date de péremption. En règle générale, il n'en prenait jamais et avait le chic de les jeter à la poubelle, étant donné qu'il n'accordait guère sa confiance aux médicaments. Néanmoins, ceux-ci se valaient encore, même avec une marge de deux mois.

— La personne qui les a mis là a ma reconnaissance éternelle, remercia à voix haute le garçon.

Il avala une poignée de pilules et s'assit sur un tabouret, pressé qu'elles fassent effet. Il s'appropria le pot cylindrique du remède, gratta l'étiquette, puis fit rouler les pastilles restantes au creux de sa paume. La douleur devint plus sourde, passant à l'arrière-plan.

Alastar referma l'armoire à pharmacie et prolongea sa randonnée. Il évita la pièce qui faisait office de séjour, ainsi que tous les autres boudoirs ou chambres. Aboutissant à la fin du vaisseau, il échoua dans une version miniature d'un pavillon, doté de paravents colorés et de coussins orientaux. Pendant qu'Alastar s'installait sur un pouf, une comète traversa les cieux. Sa lueur constella l'étendue spatiale d'une traînée scintillante. Par une inspection approfondie, le garçon enregistra sa trajectoire, qui n'avait rien de naturel. Quelqu'un les suivait.

Focalisé sur l'objet volant, il tressaillit à l'approche de Lilith.

— Je t'ai apporté un truc contre le mal de l'air.

La jeune femme lui tendait un brin de menthe poivrée. Il refusa catégoriquement. Sa mine devait être vraiment affreuse pour qu'on remarque son malaise. Pour l'exemple, Lilith mangea la plante aromatique, pour le convaincre de mastiquer le reste.

— C'est qu'un placebo, lança Alastar en acceptant toutefois de prendre une feuille.

— Peut-être. Dans le doute, essaye.

Tandis qu'il mâchait son herbe, il montra l'avion qui semblait les espionner.

— Tu n'aurais pas pu le dire plus tôt ? s'effaroucha Lilith en reculant. On doit prévenir Benjamin et Garance !

— Et qu'est-ce qu'ils y peuvent ? Ils ont leur diplôme de navigateur ? Et puis, j'ai rêvé, si ça se trouve. Je ne le vois déjà plus, l'avion. Il s'est fondu dans les nuages.

— Nous avons des radars et des émetteurs, je tenterais bien de les déclencher. Le livre qu'a trouvé Garance donnait des instructions à ce sujet. Oui, c'est faisable... Comme ça, nous demanderons de l'aide. Ce vaisseau pourrait nous tracter jusqu'à chez nous.

Lilith parlait désormais pour elle-même et, de toute manière, Alastar avait décroché. Si cet appareil voulait les sauver, il s'y prenait très mal.

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⏰ Last updated: Apr 19, 2023 ⏰

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