CHAPITRE 4

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Le store répandait la lumière en mille petits faisceaux colorés. Garance s'étira, surprise d'avoir passé une bonne nuit malgré les conditions défavorables. La veille au soir, une fois sa pitance avalée, la jeune fille s'était sentie lasse et avait reporté au lendemain l'exploration du reste du vaisseau. Benjamin s'en était occupé sommairement, vérifiant surtout si personne d'autre n'était à bord. Il s'avérait qu'ils étaient quatre, livrés à eux-mêmes.

Le lit grinçait affreusement et l'adolescente stoppa tout mouvement quand elle s'aperçut que Lilith s'était finalement endormie. Garance se leva sans faire de bruit et attrapa un gilet de sécurité ayant appartenu à un technicien pour s'emmitoufler dedans. Mesquine, la bise mordante l'engloutit dès qu'elle sortit sur la passerelle. Pas un signe de vie ne trahissait une activité humaine ou animale. À pareille altitude, les oiseaux avaient déserté le cosmos. L'avion filait sans risque de collision.

Sous les rayons du soleil, Garance contempla le dôme irisé. Cette couche translucide protégeait l'atrium de la pluie et des variations de l'air. Elle se dévoilait seulement ce matin, en raison de la clarté que diffusait un soleil généreux. Sous les pieds de la passagère, à travers les barres transversales, les bouts d'une terre lointaine s'étendaient langoureusement entre les nuages. Garance s'énerva de n'y reconnaître ni continent ni océan. Peu encline aux leçons de géographie, elle était pourtant capable d'étudier des cartes, mais pas d'en évaluer les distances.

— Je n'ai rien à faire ici, se fit-elle la réflexion.

Sa place, si elle se reportait à son planning, était à son bureau, en pleines révisions pour son contrôle de mathématiques. L'adolescente se demanda si son excursion suffirait comme explication, histoire de ne pas être renvoyée de son établissement scolaire. Garance balaya ses suppositions ; elle s'en occuperait quand elle reviendrait chez elle. Chaque chose en son temps. Un cri la tira de sa rêverie, la ramenant instantanément au présent.

— Vous me recevez cinq sur cinq, Houston ?

Le capitaine était soudainement apparu, accoudé à la barrière d'en face. Sa barbe avait déjà poussé, recouvrant son menton d'un fin duvet. Il s'était dégoté un pull, orné de lettres tirées d'un alphabet sibyllin. En guise de salut, il héla Garance, qui le rejoignit en attaquant :

— Ça ne te dérange pas de porter quelque chose dont tu ignores le sens ?

— Tu fais référence à cette fabuleuse acquisition ? dit-il en désignant son vêtement. Qui t'a dit que je ne savais pas lire le mandarin ?

— Ce n'est pas du mandarin.

— Si, ça l'est. Même qu'il est écrit « Le meilleur capitaine du monde ».

Garance esquissa une mine contrite :

— Mais bien sûr !

— Tu remets mon titre en question, tout ça parce qu'hier nous avons bidouillé deux ou trois trucs, s'indigna Benjamin. On ne pouvait pas deviner.

— Certaines commandes gèrent davantage que le chauffage, les interrompit Lilith, s'invitant dans la conversation comme une amie toujours en retard. Qui sait, vous pourriez être propulsés avec vos sièges au beau milieu de l'espace. Ne touchez pas à d'autres boutons !

— À vos ordres, simulèrent d'une courbette les deux repentants.

— Je passe l'éponge pour ce coup-ci, décida la jeune femme, clémente. On ne s'improvise pas commandant sitôt qu'on monte dans un avion.

— N'est-ce pas, Benjamin ?

Éludant la pique amicale, il ne réagit pas et Lilith non plus. Son air sévère demeura gravé, figé en un arrêt sur image. Il était évident qu'elle s'inquiétait beaucoup, trop pour se détendre. Elle qui avait tendance à régler chaque détail au millimètre près était en état de stress.

— Comment arrivez-vous à plaisanter alors que nous sommes retenus dans le ciel, si haut que personne ne peut nous voir ?

— Nous, nous la voyons, notre chère Akis2600, grimaça le plus âgé des trois. Et elle est bien plus belle vu d'ici.

— À vrai dire, je me fais davantage du mouron pour celui qui nous a infligé ça, se pavana Garance. Je vais lui faire payer sa blague.

— La situation n'a aucun sens, argumenta Lilith en posant son regard au loin, sur une planète méconnue. Les seules caméras embarquées à bord ont pour rôle de contrôler le dessous de l'aéronef. Elles ne peuvent pas nous espionner. La personne qui nous joue ce tour ne pourrait donc pas rire de son canular.

Ils se regardèrent, chacun à ses pensées. Benjamin reprit en se tournant vers elle :

— Je suis d'accord avec toi. J'imagine à peine le prix colossal de la farce. N'oublions pas que nous avons été drogués et traînés sans notre accord. Même dans les émissions les plus folles, il faut signer un papier. On nous séquestre, rien de plus, rien de moins.

— C'est incompréhensible, se résigna l'adolescente.

— Cesse donc de te lamenter. Nous sommes logés, nourris, blanchis. Tant qu'il y a de quoi s'empiffrer, estimons-nous heureux. Que diriez-vous d'œufs au bacon ? Tout le monde aime ? Nous devons les consommer avant qu'ils soient périmés.

— Moi, je suis partante, approuva Garance en se léchant les babines, sautant sur l'occasion d'un bon petit-déjeuner. C'est parfait pour nous redonner des forces.

— C'est pas vrai... déplora Lilith, guère férue des breakfasts. Vous n'avez rien de mieux à faire ? L'objectif, c'est de nous engraisser pour nous manger à Noël ?

***

— En route !

— Je ne me sens pas très bien...

— Allez quoi, persista-t-il en tapant sa cuillère contre l'assiette. Ça va être drôle.

Autour d'une table en Formica, un frère et une sœur savouraient une omelette en parlementant. La conversation remontait à un mois ou deux ; Lilith s'en souvenait parfaitement, pour la simple et bonne raison qu'il s'agissait jusque-là du pire jour de sa vie. Elle avait juste laissé de côté la date exacte au profit de l'essentiel.

— Pourquoi pas, céda la cadette. Nous n'aurons pas d'ennuis ?

— Non, allégua Jared. Les gars te voient souvent avec moi, ils ne se douteront de rien.

Lilith n'avait pas pour principe de contourner les règles, mais elle suivait le troupeau comme un mouton, encore plus quand il s'agissait de talonner son frangin chéri.

Électrisés par le frisson de l'aventure, ils décampèrent furtivement de l'appartement et quittèrent les bandes d'immeubles. L'excursion n'était encore qu'à ses débuts quand la fratrie émergea dans un entrepôt aux persiennes brinquebalantes. Des mécaniciens s'affairaient sur un bombardier, pliés en quatre, certains sur un moteur, d'autres sur une aile. Une épaisse fumée avait alerté son conducteur, qui s'était affolé et avait confié son engin entre leurs mains. Ils bossaient dessus depuis la veille et Jared n'entrevoyait aucune amélioration. La défaillance était-elle si grave que l'avion pourrirait à la casse ?

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