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Le lendemain matin, ils empaquetèrent ce qu'ils voulaient emporter, entreposèrent le reste dans le terrier, et prirent la direction de Bracknell. Alors qu'ils traversaient le bois, Natsu demanda à Sakusa pour combien de temps ils en auraient.

- Un peu plus de deux heures. Trois, au pire. Ça va dépendre de la vitesse à laquelle je marche. J'suis pas encore au top, je pourrais avoir besoin de faire des pauses. En tout cas, on y sera pour le déjeuner. Une nouvelle vie, Natsu. C'est le début d'une nouvelle vie.

- Si tu le dis.

Voilà qu'elle remettait ça. Le retour de Bougonronchon. Impossible de passer à autre chose même si elle était parfaitement consciente qu'il le fallait.
La météo semblait s'être accordée à son humeur. Le ciel était gris et il soufflait un petit vent sec et coupant qui vous glaçait jusqu'aux os. À la sortie du bois, la campagne leur apparut dans toute son étendue. Bizarrement, c'était à peine si le vent agitait les arbres et les arbustes. Freinés par les hautes herbes qui leur arrivaient à la taille, ils progressaient péniblement dans un champ. Natsu avait appris à connaître la campagne alentour. Il n'y a pas si longtemps, elle pensait qu'elle vivrait là pour toujours.

Elle avait presque déjà oublié la vie au musée. Les souvenirs d'Hollway étaient plus vifs - peut-être aussi parce que cet endroit restait associé à un drame. En effet, c'était là que Shōyō avait été enlevé par la mère aux cheveux gras et au survêt rose. Elle aurait aimé garder des souvenirs plus gais de Shōyō, plutôt que ceux de cette affreuse journée. À la limite, elle se rappelait mieux la mère que lui, dont le visage avait tendance à s'estomper de sa mémoire. Comme dans les rêves où les choses s'évanouissent dès qu'on essaye de les attraper.
« Ne pense plus au passé ni au futur », lui avait dit Sakusa. Elle comptait bien essayer de suivre ce conseil à la lettre.

Sakusa. Elle restait collée à lui, comme chaque fois qu'ils devaient se déplacer à découvert, quand bien même on était en plein jour et que les adultes étaient pratiquement tous au fond de leurs trous. Restaient les chiens, et les autres enfants, car elle avait en quelque sorte hérité de la peur qu'ils inspiraient à Sakusa, même si, objectivement, elle trouvait ça stupide. Puisque de toute évidence, elle-même n'était qu'une enfant. Jamais on ne l'avait prise pour une adulte. Contrairement à Sakusa. Quelque chose l'avait fait grandir, épaissir, jusqu'à lui donner un corps d'homme. Elle était fière de marcher à ses côtés. Il était fort et intelligent. En plus, il savait se battre, poser des pièges et connaissait mille manières de terrasser l'ennemi.

- Sakusa ?

- Quoi ?

Les herbes étaient si hautes que la tête de Natsu dépassait à peine. Elle avait calé son pas sur celui de Sakusa, ne s'écartant pas d'un millimètre du sillon qu'il creusait dans le champ.

- Cette explosion, à la ferme, quand les adultes ont passé toutes les défenses et que tu as commencé à carboniser tous ceux qui faisaient mine d'approcher de la grange ?

- Oui ?

- C'était de l'essence ?

- Oui. De la cuve que les gars avaient laissée. J'avais monté des tuyaux, des valves et des machins de manière à pouvoir remplir d'essence une rigole qui faisait le tour de la bâtisse. J'avais prévu ça en dernier recours. Un anneau de feu. J'aurais préféré ne jamais avoir à l'utiliser.

- Je regrette tellement qu'ils nous aient attaqués. Je suis verte qu'on puisse plus vivre là-bas... avec les poulets.

- Le passé c'est le passé, Natsu, inutile de remuer le couteau dans la plaie.

- Oui, oui, je connais la chanson. Ne pense pas au passé, ne pense pas à l'avenir.

- Une seule chose à la fois. Régler les problèmes au fur et à mesure qu'ils se présentent.

ENEMY Tome 4 : Les proies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant