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  Brooke faisait tout ce qu'elle pouvait pour éviter de regarder en face les visages collés aux carreaux. Oublier. Faire comme s'il n'y avait personne dehors. Une simple petite promenade dans le parc. Il lui suffisait de caler ses pas sur ceux d'Aone. Il la protègerait et tout se passerait bien.
  Ouais. Tout se passerait bien.
  Lev lui avait donné quelques cours d'escrime après qu'elle l'avait emmené récupérer son armure japonaise et ses armes. Elle s'était bien entraînée avec son glaive. Malgré tout, elle était encore loin d'être une fine lame. D'autant qu'il y avait une sacrée différence entre se battre contre de stupides sacs remplis de chiffons et de vrais êtres humains, doués de mouvement et capables de riposter. Plusieurs fois, ils avaient simulé des duels en se servant de bâtons à la place des vrais épées. Invariablement, vingt secondes après le début du combat, elle était morte.

  Ok, mais bon, Lev était jeune, en bonne forme physique et mentale, et son cerveau n'avait pas été rongé par la maladie. Par conséquent, à un contre un avec un crevard, elle avait peut-être une chance. Mais contre deux, contre dix, contre cent ?
  Aucune.
  Et ça grouillait par ici. Pire qu'à Green Park. Cinq mômes face à une foutue armée. Malgré tout le respect qu'elle avait pour Aone, elle se souvenait aussi de lui comme de quelqu'un de méfiant, pas du genre à foncer tête baissée.
  Arrête ça, ma fille. Arrête de réfléchir. Il fallait qu'elle sorte. Il n'y avait pas le choix. Et tant pis si elle avait peur. La peur était une bonne chose.

  Elle eut une pensée pour Issei et se félicita d'avoir finalement pu tenir sa promesse. Elle l'avait enterré dans les bois, sous une petite pierre tombale sur laquelle était simplement écrit « Issei Matsukawa ». Durant les dernières heures, il ne savait plus où il était ni ce qui se passait. Il avait perdu tout contact avec la réalité. Il paraissait presque heureux. Les antalgiques du Dr Norman avaient bien évidemment bien aidé. C'était comme s'il flottait. En pleine béatitude. Dans un monde imaginaire. Qu'est-ce qui était préférable ? Mourir comme ça, inconscient de la réalité, sans éprouver ni douleur ni crainte ? Ou être vivant jusqu'à la dernière seconde ? Dans l'instant. Même si cela rimait avec terreur, souffrance et désespoir...
  Brooke supposa que le mieux était encore de ne pas mourir du tout.

- C'est parti.

  Ebenezer priait. En silence. Certains gamins se foutaient de votre gueule si vous priiez à voix haute. C'était la seule chose qui lui donnait du courage. Envoyer un petit message à Dieu. Demander au vieux barbu de veiller sur lui, de l'auréoler de l'amour du Christ. Il le méritait forcément. Pas comme ces monstres, là, dehors. Ces abominations. Elles étaient contraires à tout ce que représentait Dieu. Elles étaient possédées, sous l'emprise des démons. Alors que lui était l'instrument de Dieu.
  Il caressa le petit crucifix d'argent caché sous son tee-shirt.
  Je suis un soldat du Christ, pensa-t-il. Il sera mon bouclier.

- C'est parti.

  Kanji agrippait sa hache d'armes. Il était gonflé à bloc, pressé d'en découdre. Il se fichait de savoir combien ils étaient, là, dehors. C'était pas comme ça qu'il réfléchissait. De fait, il n'avait pas beaucoup d'imagination. Il voyait ceux qui se collaient à la voiture - il commencerait par ceux-là. Ils seraient les premiers à mourir.
  Et ensuite...
  Advienne que pourra. Il serait toujours temps de s'en occuper à ce moment-là.
  Ce serait lui et Aone, ensemble, comme ça avait toujours été depuis qu'ils avaient combattu côte à côte lors de la bataille de Lambreth Bridge. La seule arme dont Kanji disposait à l'époque était sa fidèle fourche de jardin. Ça avait suffi. À eux deux, ils avaient massacré les crevards. Sans problème. Ils les avaient démolis. Et là-bas aussi il y en avait toute une armée. Eh bien ça se passerait de la même façon ce soir. Ils tailleraient dans le tas et montreraient à ces affreux qui était le chef.
  Il était prêt.
  Prêt à tout.
  Il fit la grimace aux faces hideuses collées aux carreaux, puis, pour faire bonne mesure, y ajouta un doigt d'honneur et un copieux chapelet d'insultes.

ENEMY Tome 4 : Les proies Where stories live. Discover now