ENEMY Tome 4 : Les proies

32.

  Assis à la place du passager, Aone consultait une grande carte routière pendant que Lev réglait son siège et vérifiait toutes les commandes. Le plan était on ne peut plus simple : prendre la route vers l'ouest jusqu'à rejoindre la M4, et puis rouler jusqu'à ce que le compteur affiche trente kilomètres de plus.

- Prêts ? demanda Aone sans lever le nez de sa carte.

- Une seconde, patron, répondit Kanji installé à l'arrière.

  Jetant un coup d'œil dehors, Aone vit Brooke descendre la longue rampe du musée. Elle avait troqué son étrange robe moyenâgeuse contre un jean, des tennis et un épais blouson à fermeture Éclair. Un petit sac pendait à son épaule, et elle tenait à la main une épée dans son fourreau. Elle avait toujours un bandage au front, sans doute autant pour dissimuler sa cicatrice que pour la protéger, comme le laissait supposer la casquette en tricot savamment coincée sur son crâne pour cacher l'essentiel du pansement. Elle faisait presque garçon manqué. Difficile de croire qu'il s'agissait de la même fille que celle qu'il avait rencontrée l'année dernière. À l'époque, elle avait tout de la fashionista obnubilée par son apparence, imbue d'elle-même, insolente et superficielle. Pourtant, Aone regrettait presque l'ancienne Brooke. Au moins, il savait où il en était, avec elle.

- Tu vas quelque part ? demanda-t-il quand elle s'approcha de la voiture et se pencha à sa fenêtre.

- Je viens avec vous.

- Pardon ?

- T'as très bien entendu. (De toute évidence, elle n'allait pas se laisser rembarrer.) J'ai une dette envers toi, Aone. Dans un sens, c'est à cause de moi si Yaku s'est fait tuer.

- Tu me dois rien du tout. Laisse tomber.

- Tu penses que je suis pas à la hauteur ?

- J'osais pas le dire, mais...

  Pour toute réponse, Brooke recula d'un pas et dégaina prestement son épée avant de donner un coup de lame qui cingla l'air.

- Depuis l'attaque de Green Park, je me suis entraînée, dit-elle. Jackson m'a appris à me battre. Même Lev m'a donné quelques tuyaux.

  Aone se tourna vivement vers l'intéressé.

- Elle est cool, répondit Lev en haussant les épaules. Elle sait se tenir.

- En plus, ajouta Brooke en rengainant son épée et en regardant les passagers du monospace d'un œil moqueur, je pense que vous gagneriez à avoir une fille avec vous. Vous feriez un peu moins charretée de mecs en route pour la Gay Pride. Loin de moi l'idée de casser l'ambiance ou de gâcher l'esprit de camaraderie virile qui semble régner dans cette voiture, hein, mais franchement...

- J'suis pas gay, coupa Ebenezer, l'air froissé.

- Ça va, je plaisantais, répondit Brooke en riant.

- C'est pas drôle. On plaisante pas avec ça.

- Ha, ha, j'ai touché la corde sensible, on dirait.

- Ça va, Ebenezer, laisse tomber, coupa Aone.

  Et il jeta à Brooke un regard noir.
  Voilà qui ressemblait plus à l'ancienne Brooke, cette façon de jeter de l'huile sur le feu.

- C'est bon, on a une place pour toi, dit-il.

- C'est que... y a pas que moi, répondit Brooke en se penchant de nouveau à la portière.

- Comment ça ? fit Aone en tendant le cou pour voir l'entrée du musée, à présent déserte. Quelqu'un d'autre veut venir ? La voiture est grande, mais pas extensible.

- Je croyais que tu voulais du monde.

  Aone soupira.

- Ça, c'était avant que j'aie la voiture. C'est qui, d'abord ?

- Tu vas pas tarder à le savoir. Allez, viens, suis-moi.