ENEMY Tome 4 : Les proies

56.

Aone et Kanji descendirent l'allée qui menait à la piste en compagnie de Kita et de Sean, un grand gaillard solidement bâti, qui était ce qui s'approchait le plus du champion dans le clan Ascot. Ils n'étaient pas coutumiers de la victoire, mais Aone et Kanji espéraient bien changer cela.
Ils en avaient appris un peu plus sur King's Road. Il s'agissait d'une variante du jeu de l'épervier. Sean leur expliqua les derniers détails pendant qu'ils rejoignaient leur position de départ : une section de la piste délimitée par deux cordes posées par terre.

- On sera là, expliqua Sean. Dans le carré de l'épervier. Cinq enfants de chaque camp. Interdit de sortir du carré. Jusqu'à dix concurrents de chaque camp partent de la ligne de départ.

Il pointa du doigt l'extrémité de la piste où un grand nombre d'enfants étaient en train de se rassembler.

- Dans les faits, on n'engage rarement plus de sept joueurs, qui doivent essayer de franchir le carré de l'épervier et couper la ligne d'arrivée qui se trouve derrière.

- Et ça s'arrête là ? demanda Aone. Y a pas une sorte de stratégie ?

- Si, répondit Sean. En tant qu'épervier, tu dois choisir entre protéger les gars de ton équipe pour les aider à passer, ou, au contraire, bloquer les concurrents des autres équipes. Ah, aussi... Si un coureur réussit à passer, il a le droit de revenir pour essayer de libérer ses amis, donc faites gaffe, surveillez vos arrières. La victoire revient à l'équipe qui a la plus de coureurs ayant franchi le carré de l'épervier quand la musique s'arrête.

- Soit combien de temps en tout ? demanda Aone.

- Aucune idée. C'est Arno et le King qui décident. Jamais assez vite, si vous voulez mon avis. Je vous préviens, c'est marrant, mais super brutal.

- Je sens qu'on va s'éclater, dit Kanji, un sourire carnassier aux lèvres.

Un gros gaillard se présentant sous le nom de Green les rejoignit et les salua d'une claque dans la main. Aone lui reconnut l'avantage de la taille - à elle seule, sa largeur constituait un obstacle pour un éventuel coureur. En revanche, il se demandait s'il serait assez vif sur ses jambes.

- Vous avez une tactique particulière ? demanda Aone.

- Bah, en général, la tactique s'impose d'elle-même, au fur et à mesure de la partie, répondit Sean. Le plus dur, c'est d'essayer de pas se blesser. Ça part vraiment dans tous les sens.

- Ok, répondit Aone en regardant en direction des coureurs. Dès qu'un gars de chez nous arrive, on se met autour et on l'escorte jusqu'au bout du carré.

- S'ils arrivent jusque-là, ironisa Green. On a tendance à être plutôt nuls.

- Cette fois-ci, camarade, on va essayer de faire en sorte que ça change, répondit Aone en checkant avec lui.

- Ah, y a une règle à respecter, précisa Sean. Interdit de mettre un pied hors du carré sous peine d'être disqualifié et exclu de la partie. Bien sûr, je parle des éperviers, pas des coureurs, que l'on reconnaît facilement à leurs brassards noirs.

Arno se trouvait non loin, au bord de la piste, discutant avec le King et les musiciens, sous le regard de l'estafier du roi, toujours juché sur son cheval. Arno leva les yeux au ciel, fit la moue, lâcha quelques mots qui firent rire le King et ils approchèrent de la barrière.

- Oyez ! cria-t-il. Que le meilleur gagne, que le pire sombre et que le bon Dieu vous garde, bande de rats d'égout.

Sur ces mots, le King bascula la tête en arrière et brama. Aussitôt, la fanfare entonna une version aussi désaccordée qu'enthousiaste du thème de Carmina Burana qui, en son temps, servait de générique à l'émission de télé The X Factor. Aone était tellement pris par la musique que il en aurait presque oublié que celle-ci marquait le début de la partie. Le temps qu'il revienne à la réalité et se retourne face à la piste, une soixantaine de coureurs s'étaient élancés et chargeaient droit sur lui.
Certains commençaient déjà à se battre, les plus costauds essayant d'éliminer les plus faibles. Deux filles s'étaient totalement arrêtées et se crêpaient le chignon. En dépit des collisions, des coups d'épaule, de coude, voire de poing, le gros du peloton continuait de foncer droit sur l'obstacle.