3° jeunesse dorée

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Chapitre à lire avec la musique pour plus d'intensité





2000.

Le nouveau millénaire venait de commencer. Rien ne nous semblait impossible, ni la lune, ni les étoiles, ni la liberté.

Gabriel avait emménagé quelques jours auparavant, dans la grande villa en bas de la rue. Je l'entendais souvent dévaler la pente, et je l'espionnais parfois derrière la haie, admirant son allure remarquable. Nous mangions tout ensemble presque tous les soirs, tantôt chez nous, tantôt chez eux. Nos parents, ravis de se retrouver après tant d'années, bavardaient des heures durant tandis que les petits chahutaient ensemble. Gabriel, lui, se dérobait constamment, partant toujours au bout de très peu de temps, me laissant délibérément curieuse et spectatrice, comme s'il ne pouvait rester au même endroit trop longtemps. Alors, un soir, alors qu'il lançait son habituel Salut! annonciateur de son départ, je le suivais.

Le jour tirait sa révérence et le ciel ressemblait à une peinture impressionniste. La rue était vide, et seuls les pas de Gabriel résonnaient dans le silence de la nuit d'été. Discrète, je tentais de synchroniser mes pas avec les siens, si bien que la symbiose semblait presque parfaite. Il s'arrêta devant chez lui et entra furtivement. J'hésitais à le suivre, pas encore prête à violer une propriété privée. Résignée, je fis demi-tour lorsque je l'entendis me lancer :

- Eh bien alors, Monique, tu n'entres pas ?















Gabriel avait disparu sous la voiture. Seuls ses pieds dépassaient. Tout autour, du matériel pour réparer les voitures. Le garage n'était pas encore tout à fait aménagé, quelques cartons parsemaient l'endroit ça et là. Assise sur un tabouret en face de la vielle Cadillac, je l'observais pendant qu'il s'affairait. En teinte de fond, une musique brisait le silence. Derrière nous, le soleil exultait avant de disparaître, et les derniers rayons perçaient les nues et s'échouaient dans le garage.

Gabriel tira la planche à roulettes et se releva, les mains pleines de suie.

- Mon père l'a trouvé dans une casse automobile. Regarde cette beauté, qui aurait pu vouloir s'en débarrasser ? Enfin, bref ... On l'a récupéré, et depuis, j'essaie de la remettre sur pieds. C'est ça que je fais tous les soirs, quand je m'en vais, Moni. Rien d'autre, que moi, la musique, et cette voiture. J'aimerais la conduire cet été, aller à la mer avec, rouler juste pour me perdre nulle part... Je voudrais toucher à un bout de liberté, parce que voilà, dix-neuf ans bientôt vingt, et après, ce sera peut-être trop tard...

C'était la première fois qu'il m'appelait Moni. Soudain, moi aussi, je voulais aller à la mer dans cette voiture et traverser le pays avec. Faire les quatre cents coups et crier à pleins poumons en roulant sur une petite route de campagne, parce que c'était une décapotable et qu'avec les décapotables on frime on vit on crie on hurle on dit regardez nous, regardez nous, comme on est jeunes, comme on est beaux ... ah, ça oui, on est magnifiques, nous les inconnus amis intimes bientôt inséparables, nous les voisins, les ennemis d'une heure, les accrochés, les intrépides. Soudain, je voulais passer tout l'été avec lui.

- Je reviens!

Gabriel m'observa, interloquée, tandis que je sortais en courant de chez lui. Il faisait nuit maintenant. Je remontais vite la pente, poussée par un élan indicible. Arrivée chez moi, je fonçais dans ma cuisine tandis que les éclats de voix de nos parents résonnaient toujours dans la cuisine. Sortant les ingrédients, j'essayais de me souvenir de la recette que m'avait appris mon oncle quelques mois auparavant. Un peu de menthe, de sucre de canne, de citron vert ... ah oui! surtout, ne pas oublier le jus...

GabrielWhere stories live. Discover now