5° la nuit d'hélios

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« Qu'espérer d'un amour pur sinon qu'il rende notre solitude pure ? »
                                - Christian Bobin



Quelques jours après cette fameuse soirée, Gabriel et Judith se mirent ensemble. Jude parlait constamment de lui, d'à quel point il était extraordinaire et si beau et ô, oui, vraiment intelligent, car tu as vu, en cours, comme il sait déjà tout, comme il pense si vite, comme si son cerveau fonctionnait différemment du notre, et qu'il courait plus vite vers la connaissance. Dès que je l'ai vu, Moni, à l'instant même, à la minute... non, à la seconde ! À la seconde même où je l'ai vu Monique, avant même que tu ne me dises son nom, lorsqu'il est entré et que ... j'ai cru que mon cœur allait sortir de ma poitrine et éclater comme un ballon rempli d'amour. J'ai jamais cru au coup de foudre, mais quand il fait paf comme ça devant tes yeux, c'est pas possible autrement, hein, Monique ? Et il n'a même pas besoin de me toucher pour que je me liquéfie déjà sous ses yeux mitraille. Ah...si tu savais comme je suis heureuse...-

Et elle continuait, et je l'écoutais, et ma douleur mutique était illégitime face à l'étendue de leur bonheur. Alors, je ne disais rien. J'acquiesçais en souriant et en me disant que ça allait passer. Mois d'octobre 2000, Monique-cœur-brisé, Monique-n'aime-plus-Gabriel, Monique-passe-à-autre-chose, Monique-se-ment-à-elle-même.

À dix-neuf ans, j'étais une rêveuse. J'imaginais ma vie plus que je ne la vivais réellement, et l'infinité de mes futurs possibles s'étalait devant moi tel le Saint-Graal, le sacro-saint cadeau de l'univers.

L'automne s'était désormais installé, petite mélodie sépia. Avec Gabriel, nous prenions le bus ensemble le soir. Il me parlait rarement de Jude, ne digressait jamais sur elle. Parfois seulement, il souriait dans le vide, et je supposais que c'était en pensant à elle, à son sourire ou à son rire. Nos parents passaient toujours autant de temps ensemble, et il n'était pas rare qu'en rentrant le des cours, la maison soit vide et que je retrouve un mot où ils me disaient qu'ils étaient au restaurant, au théâtre ou au cinéma avec eux. J'allais alors chercher Camille chez la voisine, qui était toujours extasié de me voir et sautait dans mes bras avec une joie non dissimulée. L'admiration que mon petit frère me portait était profondément touchante.

Les jours se suivaient et se ressemblaient. Noël passa, et notre famille vint nous rendre visite. Le soir du nouvel an, Gabriel, qui était du genre à se faire des amis à une vitesse incroyable, m'avait invité à la soirée qu'il organisait.

Je me souviens être assise sur mon lit puis me laisser tomber en arrière. Les yeux sur le plafond, je débattais s'il fallait vraiment que j'y aille ou s'il ne fallait pas plutôt que je feinte un mal quelconque pour rester à la maison. Mais les parents de Gabriel allaient dîner chez moi, et mon excuse risquait de ne pas tenir longtemps... Me relevant furtivement, j'acquiesçai dans le vide en essayant de me convaincre qu'y aller était la meilleure chose. Oui, voilà, vas-y ! N'en fait pas tout un monde, Monique, amuse-toi, même si tu ne t'amuses jamais vraiment en soirée parce que tu te sens terriblement seule, et que tu as l'impression d'être réglée sur une fréquence différente des autres, que tu n'arrives pas à suivre leur danse théâtrale et que tu les observes toujours de loin comme si tu étais l'étrangère.

Amuse-toi, Monique.

Robe rouge velours. Un peu pourpre et carmin et un décolleté en cœur. Mon mini sac à la main, j'avais jeté un trench noir sur mes épaules, enfilé mes talons, et descendu la rue en essayant de me donner une contenance. Je croisais Jeanne, Paul et Edith sur le chemin. Ils me saluèrent et me complimentèrent avant de me souhaiter une bonne soirée. J'arrivais un peu en avance. Gabriel m'avait demandé de l'aider avec le buffet. Il m'ouvrit la porte, un verre à la main.

GabrielWhere stories live. Discover now