7° les maux d'or

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« Rencontrer quelqu'un, le rencontrer vraiment - et non simplement bavarder comme si personne ne devait mourir un jour -, est une chose infiniment rare.
La substance inaltérable de l'amour est l'intelligence partagée de la vie. »
                                     Christian Bobin



Une semaine après, Gabriel rompait avec Judith.

Ce fut brutal. Judith toqua à la porte de chez moi un mercredi soir, dévastée. Elle revenait de chez Gabriel, qui lui avait annoncé la nouvelle. Les yeux gonflés, le regard vide, elle sanglotait silencieusement, allongée sur mon lit. Moi, je la regardais, comme anesthésiée.

Mon cœur battait si fort dans ma poitrine, et j'avais chaud. Extrêmement chaud. Le sentiment de culpabilité m'envahit si violemment que ma tête se mît à tourner, et que j'eus soudainement atrocement envie de vomir.

Était-ce par rapport à ce qu'il s'était passé après le cinéma ? Était-ce à cause de nos mains, de ce touché interdit ? Était-ce parce qu'il ne l'aimait plus, "tout simplement"?


- Qu'est-ce qu'il t'a dit, exactement ?


Judith me regarda, inconsciente de l'effet dévastateur de ses yeux sur moi.



- Ça a commencé après le cinéma. C'est comme si, comme s'il était devenu quelqu'un d'autre. Comme s'il ne me voyait plus, Monique. Non... non, comme s'il me voyait, mais qu'il ne me voulait plus.


Et elle se prit la tête dans les mains, soupirant de désespoir.


- Avant, avant... Avant j'avais l'impression qu'il m'aimait, tu sais. Mais parfois, parfois il avait des moments d'absence, comme s'il hésitait, comme s'il ne savait plus vraiment. Il regardait ailleurs, prenait ses distances, puis revenait comme ça, comme si de rien était. Avec un sourire ou un baiser, avec un câlin ou un regard, il me revenait. Mais j'ai toujours su que je ne le posséderai jamais. Il est trop ... trop libre. Et le pire, le pire c'est que je ne peux même pas lui en vouloir, tu vois ? Il m'a dit, il m'a dit : tu es belle, Jude. Tu es belle et tu es drôle et j'ai adoré les moments qu'on a passé ensemble, mais ...



Elle se tut, se releva, me regarda, comme soudainement déboussolée.

- Mais ?

Elle poursuivit.

- « Mais je ne veux pas te faire du mal. Justement parce que je te respecte, je ne veux pas te blesser, alors que je sais que ... que je ne t'aime pas comme tu m'aimes. Je suis désolé, Jude. Je suis vraiment désolé.» Et il m'a prit dans ses bras, et c'était tout.

Je ne répondis rien. Que dire ? Que tout ira bien, qu'avec le temps ...? Qu'elle rencontrera quelqu'un d'autre, un "mec super" ? Que Gabriel, c'était juste un connard, qui ne comprenait rien ?

Car Gabriel fait toujours cet effet. Il s'empare de votre cœur, au premier regard. Comme ça, brutalement, sans demander votre avis. Et puis après, après c'est trop tard. Après, tu es déjà diablement amoureuse, de ses mots d'esprits, de son sourire, de ses yeux, quand il te regarde, et que tu as l'impression de n'exister que pour lui, de sa voix, si grave, si pure. De ses mots, de ses lèvres, de ses mains, de lui, tout entier.
Parce qu'il est tout ce que tu as toujours voulu, et qu'il est apparu, comme ça, ange et mirage, et que tu voudrais qu'il ne parte jamais.

M'allongeant à ses côtés, je la serrais très fort, nos cœurs brûlants pour le même garçon et sœurs d'une même douleur qu'elle ignorait.

Le lendemain, ni Judith ni Gabriel ne vinrent en cours. Je regardais leurs places vides, rappel douloureux du drame qui était en train de se jouer.

En rentrant des cours, je décidais d'aller voir Gabriel. Quelle ironie, que je cherche à les rabibocher. Je grimaçais à cette pensée lorsqu'il vint m'ouvrir.

Son sempiternel sourire n'avait pas quitté ses lèvres, et il me sourit avant de me prendre dans ses bras.

- Je t'ai manqué, aujourd'hui ?

- Horriblement.

Il ria et se décala pour me laisser entrer.

- T'es parents ne sont pas là ?

- Je crois qu'ils sont chez toi.

- Et Edith ?

- Dans sa chambre.


Nous nous installâmes dans son salon. Silence et regards fuyants. Trois coups. La pièce allait commencer.

- Tu l'as quitté.

Gabriel, assit à ma gauche au fond du canapé, se redressa un peu. Tendu, il planta ses yeux dans les miens, et ma respiration se fit soudainement plus saccadée.

- Oui.

- Pourquoi ?


Silence. Encore. Question stupide.

- Tu sais, pourquoi.


Une chaleur m'envahit, et je ne savais pas si c'était la culpabilité ou l'amour. Je devais feindre l'ignorance. Des palpitations et des mains moites ne sont pas des réponses, encore moins des explications.

- Non, justement.

Il eut un rictus, et son agacement se faufila jusqu'à moi.

- Je ne l'aimais plus, je ne l'aimais pas, Moni.

- Alors pourquoi tu t'es mis avec elle ?

- Parce que je pensais que je l'aimais, mais j'ai réalisé que ce n'était pas le cas, et je pouvais pas ... je pouvais pas lui faire plus de mal. Pas une fois que je l'ai compris.


- Qu'est-ce qui t'a fait comprendre ?



Gabriel me lança un regard. Je ne l'avais jamais vu me regarder comme ça. C'était bourrasque et sentiments, poésie et nuit éternelle, c'était des secrets qui valsaient dans ses pupilles.


Une douleur s'éprit de mon bas ventre. Le sentiment que tout était foutu, que c'était trop tard, que tout ce qu'il pourrait dire serait déjà dépassé. Que ce n'était plus l'heure.


- Qu'est-ce qui t'a fait comprendre ?


Je répétais la question. Les battements de mon cœur se martelaient dans mes oreilles tandis que sa respiration se faisait de plus en plus lourde. Ça y est, c'était lui. Le moment. Gabriel se redressa et s'assit en bord du canapé, les bras posés sur les genoux, se tortillant les mains. Je ne l'avais jamais vu aussi anxieux. Les sourcils froncés, l'air pensif. Il tourna la tête vers moi, et à cet instant, son visage avait changé. Il n'y avait plus aucune once d'hésitation. Il inspira, et sa voix se cassa lorsqu'il me répondit :


- Toi.

















...

GabrielWhere stories live. Discover now