9° l'or de tes yeux

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« Il devait lui apprendre à considérer l'amour comme un état de grâce qui n'était pas un moyen mais une fin en soi.»
- Gabriel García Márquez


Le printemps arrivait. Une douce fraîcheur s'installait dans l'air tandis que les jours se rallongeaient. Les cerisiers étaient en fleurs, et leur couleur rose ornait les sentiers de Provence. Le soir, en guise de dernier adieu, le soleil exultait ses rayons à travers les fleurs opalines, comme le doux murmure d'un secret qui allait se dévoiler.

L'été.

Je l'attendais comme un enfant attend Noël. Avec hâte et empressement, je me languissais du moment où les nuits seraient longues, longues, longues ; lorsque les salves salvatrices du soleil se jettent sur nos visages sacrifiés, où les soirées s'étendent à n'en plus finir, et qu'on refait le monde, encore et encore, tandis qu'entre nous souffle l'air chaud des nuitée d'été.

Depuis ce jour, jour fatidique, ni Gabriel ni moi n'en avions reparlés. Je l'évitais, entre les couloirs de l'université, chez nous, partout. C'était un travail éreintant, que de prétendre de rien, alors qu'il occupait mes pensées, perpétuellement. Mais il le fallait. Jude était encore en deuil de cette relation, de cet amour, "cet amour fou, cet amour vrai" comme elle l'aimait à le répéter, si bien qu'il m'était impossible de m'autoriser à l'oublier, elle et sa souffrance, comme je l'avais fait ce soir là.

Parfois, je les voyais se parler. Un bonjour, bonsoir, comment tu vas, un peu gêné et pas tout à fait sincère. Tel un regret que l'on porte sur des distances infinies, le non-dit de cette relation avortée continuait à peser dans l'air. Jude, un peu taciturne, restait souvent chez elle, manquait les cours, parce que tu comprends Monique, j'ai besoin de temps pour me remettre. C'est durant cette période que je me suis rapprochée d'une autre fille de notre promo, Astou.


Astou était de ces filles à l'allure envoûtante. Sa peau noire couleur bistre tranchait parfaitement avec l'éclat de ses yeux, presque verts, pas tout à fait marrons. Très grande, ses jambes ciselés se jetaient admirablement lorsqu'elle marchait, comme si le monde la parcourait plus qu'elle parcourait le monde. Ses cheveux noirs de jais étaient immuablement tirés en un chignon bas, et leur aspect soyeux ne cessait de se refléter sous le soleil. Astou était de ces filles belles - et qui le savaient.

Je lui avais parlé pour la première fois à la fin d'un TD. Jude, absente, et moi, essayant de ranger mes affaires alors que la classe suivante venait de débouler dans la salle. Astou était alors venue m'aider à me dépêtrer de mon chaos. Notre amitié avait commencé comme ça.

En quelques jours seulement, nous étions devenues les meilleures amies du monde.

- Tu comptes finir ou ...?

Je levais les yeux sur Astou, qui louchait sur mon assiette de poulet frit.

La table était pourtant pleine à craquer : nouilles, tteokbokki, kimchi. Les portions étaient énormes et dire que nous avions eu les yeux plus gros que le ventre était un euphémisme. Tandis que je me rabattais contre le dossier de la chaise, les mains sur le ventre et la bouche mâchant nonchalamment un bout déjà mâché depuis une bonne dizaine de minutes, Astou piqua un bout dans mon assiette, l'air de rien.

- Comment tu fais pour avoir encore de la place, ça, c'est un mystère.

- C'est parce que je suis grande, se justifia-t-elle.

- Aucun rapport ?

- Aucun rapport.

Je lâchais un rire sonore avant de regarder un peu plus autour de nous.

Un restaurant coréen venait d'ouvrir à quelques rues de l'université, et, curieuses, nous nous y étions rendues dès la première occasion.


- Ça fait un moment que je t'ai pas vue avec Jude.


J'arrêtai de mâcher et la regardai avec un faux air surpris.

- Oui, j'ai remarqué, poursuivit-elle.


- Elle a rompu avec Gabriel. Gabriel a rompu avec elle, rectifiai-je.


- Il était temps.

Suspendant mon mouvement, je fronçai les sourcils, surprise de sa réponse.

- Pourquoi tu dis ça ?

Astou haussa les épaules et repiqua sa fourchette dans mon assiette.

- Ils n'allaient pas du tout ensemble. Yann m'a dit que Gabriel ne parlait jamais d'elle, hormis à de rares occasions.

Yann était le petit-ami de Astou. Il était devenu ami avec Gabriel, et, accompagné de Cyril, ils formaient un véritable trio.


- Je sais. Moi aussi, il ne me parlait jamais de leur relation. Mais je sais pas, je pensais que c'était une histoire de respect. Tu sais... ne parle pas de ta copine avec ta meilleure amie.


- Aucun rapport, lança-t-elle, tandis que je laissais échapper un rire. C'est avec toi qu'il aurait dû être, poursuivi-t-elle.


Sa phrase me fit manquer un battement.


- Ah oui...Et pourquoi ça ?


Astou esquissa un sourire en coin, sachant très bien ce qu'elle était en train de faire. Pointant ses baguettes vers moi, elle rétorqua, non sans connivence :


- Ses yeux, Moni, ils ne brillent que pour toi.










-:-



Mon lecteur CD en main, écouteurs dans les oreilles, je chantonnais tandis que je traversais les ruelles qui me séparaient de la maison. Les yeux tournés vers le ciel, je m'amusais donner des formes au nuages, et à imaginer que là haut, bien plus haut se cachait le véritable joyaux terrestre, l'Eden, astrée secrète.

Ce que j'aurais aimé être un ange ...

Tournant dans ma rue, je farfouillais dans mon sac à la recherche de mes clés lorsque je butais contre quelqu'un.

Gabriel.

Les bras croisés, il se tenait devant le portail.

Des jours s'étaient écoulés depuis la dernière fois, et pourtant, l'emballement de mon cœur et la soudaine chaleur qui m'irradia me donnait l'impression qu'il s'agissait de secondes.


- Mo', il faut qu'on parle.













...

GabrielWhere stories live. Discover now