Chapitre 2 ; La fuite

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Les premiers rayons du jour effleurent ma peau et me forcent à ouvrir les yeux. Un léger cliquetis m'indique qu'on vient de déverrouiller la porte de ma chambre. Il était temps ! J'ai désormais seize ans. Mais je sais que personne ne s'en souciera aujourd'hui. Pour les autres, c'est un jour ordinaire. Tant et si bien qu'ils ont réussi à me faire croire que ce jour n'était pas important. Je ne cesse de penser à mes parents tous le long du trajet jusqu'à la cantine. Je m'installe toute seule en attendant les plats infâmes qu'ils vont probablement nous servir. J'aperçois les cantinières, un grand bol dans une main et une louche dans l'autre. De la soupe au petit déjeuner... Comme c'est original... Tandis qu'on me sert ma soupe, je prépare mentalement mon plan d'évasion. Ma chambre est au premier étage, il me sera donc très facile de descendre à l'aide de mes draps. Seul problème, comment déjouer la surveillance du gardien de nuit ? Je trouverais bien. Je passe toute ma journée dans la bibliothèque de l'internat, poussiéreuse et mal entretenue. Il m'arrive de demander un chiffon à la femme de ménage pour nettoyer un peu les étagères. Bien qu'elle soit surprise qu'une pensionnaire de l'internat s'intéresse au ménage, elle me cède et me prête des plumeaux et des chiffons. Mais aujourd'hui, la femme de ménage n'est pas en service et je suis obligé de feuilleter des pages crasseuses et de m'accoudé à des tables salles. Alors que je relis pour la troisième fois le cinquième chapitre de " Orgueil et Préjugés ", une petite fille blonde que je connais bien s'approche de moi.

— Tu as tout gâché ! me hurle-t-elle.
— De quoi tu parles ? lui répondis-je d'un ton lasse.
— Tu as fait fuir les adoptants ! Tu n'es qu'une égoïste !
— Ces gens ne t'auraient pas adopté de toute façon, alors cesse de brailler.
— Tu n'en sais absolument rien ! Arrête de croire que tout le monde est dans ton cas !

Je sais qu'elle est petite, mais là, elle va trop loin ! Anne est une petite fille si douce à l'accoutumée, que j'ai du mal à croire qu'elle puisse se transformer en diablotin en quelques secondes. Et pourtant, c'est ce qu'elle est en train de faire. Elle saisit le livre que j'ai entre les mains et le lance à l'autre bout de la bibliothèque en me tirant la langue. Je cours pour le ramasser et reviens vers elle en fulminant.

— Tu ne seras jamais adoptée, tu perds ton temps !
— Laisse-moi tranquille, Anne.

Elle me donne un méchant coup de pieds et s'enfuit de la bibliothèque en pleurant. Croyant que sa crise ne sera que passagère, je me rassois et reprends ma lecture. À ma grande surprise, Anne revient avec Madame Li et me pointe du doigt.

— Elle m'a frappée !, dit-elle de sa voix enfantine.
— N'importe quoi ! Tu sais très bien que c'est faux ! crié-je.

Madame Li a pourtant l'air de croire le contraire.

— File dans ta chambre et ne revient plus jamais dans cette bibliothèque, jeune fille !

Voyant que je m'apprête à riposter, elle prend Anne dans les bras et me fixe méchamment. Je n'ai visiblement pas le choix... Je me dirige vers la sortie et rejoins ma chambre, les larmes aux yeux. Cette petite peste a réussi à me faire exclure de la bibliothèque ! Je dois m'en aller. Ce soir.

***
Une fois le soleil couché, j'attache mes draps en une liane solide et me débarrasse de mon pyjama pour enfiler un tee-shirt et un jogging. Rien ne me garantit que cela va marcher, mais je dois absolument tenter le coup ne serait ce que pour avoir la fierté d'avoir essayé. Je lance les draps par-dessus ma fenêtre et attache l'autre bout au pied de mon lit. J'attrape les draps d'une main et appuie mes pieds sur la façade. J'appréhende plus que mon lit cède que ma prise timide sur mes draps noués. J'entame prudemment la descente. L'air est froid et des nuages s'accumulent peu à peu dans le ciel. Je sens alors que les draps lâchent et que mon lit ne va pas tenir très longtemps. J'accélère la cadence. Arrivée en bas, j'aperçois la lumière de la lampe torche du vigile. Je me mets à courir et aussitôt, une alarme stridente retentit derrière moi. Des chiens aboient, des personnes se mettent à me suivre et mon cœur s'emballe en voyant des lumières se rapprocher. Je pénètre dans la forêt en espérant pouvoir semer mes poursuivants. Des branches éraflent mes joues, des ronces m'agrippent les pieds et des rochers gênent ma course. Je me faufile sous des buissons, contourne des mares, saute par-dessus des troncs d'arbres. Malgré ma vitesse, les aboiements se rapprochent. J'ai beau accélérer, les cris s'amplifient. C'est alors que je les voie. Deux yeux rouges dissimulés dans un buisson. Je m'arrête net en les fixant. Ils me fixent... Quelle est cette créature ? Je ne dois pas rester là, s'ils me rattrapent je ne pourrai plus jamais sortir de l'orphelinat. Mais mes jambes semblent en avoir décidé autrement. Ses yeux rouges m'attirent... Quelqu'un m'attrape par-derrière, les chiens m'encerclent et je comprends que tous mes efforts n'ont servi à rien. Quand je relève la tête, les yeux rouges ont disparu. On me ramène à l'orphelinat, où ma fuite fait vite le tour de toutes les chambres. Les enfants sortent pour voir ce qu'il se passe et sont visiblement déçus en voyant qu'il ne s'agit que de la pauvre Blanche, désespérée et triste qui a une nouvelle fois gâcher la journée de tout le monde. Ils me regardent comme une bête de foire et ça m'est insupportable. On m'enferme à double tour comme une échappée d'asile. Cette nuit-là, aucune étoile ne brille.

Rosa Bianca è Rossa ( En correction / réécriture )Where stories live. Discover now