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L'automne glisse sur la Nouvelles-Orléans une nuit brumeuse. Le long de la rue Bourbon, dans le Vieux Carré français, se coule lentement la vie nocturne.

Les bâtiments à l'architecture coloniale française et espagnole se dressent de chaque côté de la rue. Les balcons en fer forgé sont ornés de fleurs colorées et de lanternes élégantes.

A mesure que la ville s'illumine, résonnent dans les rues les premières notes de jazz sortant des bars et des restaurants. Saxophones, trompettes et pianos mélangent leurs notes, parfois accompagnés d'une voix harmonieuse.

Les odeurs de beignets au sucre et de Jambalaya venant des étals, commencent à imprégner l'air. Dans une mosaïque de couleurs et de vêtements multi culturel, les passants marchent tranquillement, profitant de leur soirée pour flâner dans les rues, ou se rendre à leur adresse préférée.

Toutes les boutiques sont fermées. Sauf une dans une rue à l'écart, à l'abris de l'animation et des lumières nocturnes. L'immeuble dans laquelle elle se trouve se fond dans l'ambiance du quartier. Sa façade extérieure, aux vitrines cachées par d'épais rideaux pourpres, passe inaperçue aux regards des passants qui ne la cherchent pas.

Une porte en bois sombre arbore au-dessus d'elle un nom sur une enseigne en fer forgée : Le sanctuaire des esprits. De part et d'autre de cette entrée, deux lanternes en laiton projettent sur le trottoir une lueur douce et chaleureuse.

L'intérieur de cette boutique est sombre, faiblement éclairée par une unique lampe sur le comptoir et des bougies. Des objets énigmatiques, divers, sont rangés dans d'immenses étagères alignées sur des murs en bois patiné. Dans l'air, une odeur d'encens plane, légèrement suffocante qui imprègne quiconque entre dans ce sanctuaire.

Les objets sur les étagères sont très divers, allant d'une lampe torche à des poupées vaudou. Des ingrédients en tout genre y sont également étendus, comme de pattes de poulet noircis, de l'ail, des fioles au liquide inconnu, des bocaux de poudre d'os et de terre, et bien d'autres. Certaines étagères font étal de crânes d'animaux, ornés de symboles qui n'ont de signification que pour les initiés.

Dans l'arrière-boutique se trouve un magnifique autel dédié aux Loas du Vaudou. Des offrandes fraiches sont déposées devant des statuettes : orange et rhum dégagent une douce odeur sucrée. Cette pièce est minuscule, et ne semble servir qu'à la prière.

Des Ouangans sont alignés derrière le comptoir : des charmes magiques et guérisseurs, préparés avec attention par le prêtre de ces lieux.

Derrière la table, faisant aussi office d'atelier, s'affaire un homme. Grand, la peau sombre et tannée par la quarantaine qui approche, son visage est long et marqué de quelques cicatrices. De longues Dreadlocks fines et grisonnantes descendent en cascade sur son dos et ses larges épaules.

Ses longues mains préparent un paquet-Congo : sur un carré de tissu satiné il déverse un mélange de terre sacrée, provenant de l'église de la ville, avec de la poudre de corne et une pincée de poudre noire. Puis, avec beaucoup de soin, il referme le paquet avec une ficelle colorée avant de l'orner d'une plume. Ce paquet-Congo servira à un rite Petro pour aider un malade à soulager ses douleurs.

L'homme le range avec d'autres aux couleurs satinées et vives.

On l'appelle "Tonton Yenka", et raconte qu'il est issu d'une longue lignée de prêtresse Vaudou de la région. Apprécié pour sa bienveillance, et l'efficacité de ses charmes, on dit de lui qu'il est le Hougan, un prêtre sorcier mâle, le plus puissant de la ville.

Dehors le ciel se couvre et la nuit avance, suffisamment pour vider les rues de ses passants. Matis Yenka continue ses préparations. Il aime travailler de nuit. Sa femme, Suu, avait beaucoup de mal à le tolérer au début : non initiée au Vaudou, elle ne comprenait pas sa dévotion religieuse. Mais elle a fini par accepter son mode de vie. Suu est une femme intelligente et ouverte d'esprit.

Matis sourit en pensant à son visage et celui de leur petite fille de 4 ans, Samantha.

Dans un fracas soudain la vitrine de la boutique explose. Les morceaux de verre se répandent sur le sol, avant de se faire piétiner par quatre silhouettes. Quatre hommes, capuche sur la tête, entrent puis scrutent l'intérieur de leur yeux plissés.

Tel un fauve, Matis surgit de derrière son comptoir et se jette sur le groupe de voleurs. Se mouvant tel une panthère dans l'obscurité de la boutique, il met aisément au sol un intru, puis un deuxième. Tout va trop vite, les deux autres hommes ont l'impression de combattre une ombre.

La panique les gagne, Matis surgit à nouveau des ombres : il est capable de tous les terrasser, quand l'écho d'un tir retentit.

— Putain ! Hurle un des assaillants, t'aurais pas dû faire ça !

Celui qui a tiré est un jeune homme à la main tremblotante, le canon du petit révolver qu'il tient fume encore. Son camarade se jette sur le corps de Matis, inerte, et vérifie son pouls : mort sur le coup. 

Il fouille toutes ses poches avant de s'exclamer :

— C'est bon je l'ai ! il bouscule le jeune homme encore sous le choc. On se casse vite !

Rapidement, ils récupèrent leurs camarades encore sonnés par les attaques du Hougan avant de prendre la fuite.

La pluie tombe et l'orage gronde.

Dans cette rue à l'écart, sans vis-à-vis, personne ne se doute du drame. Pratiquement une heure passe. Une femme afro-américaine, dans la trentaine, s'engage dans l'impasse, puis s'arrête en voyant le verre brisé au loin. Ses yeux sombres s'écarquillent de frayeur.

Soudain elle court jusqu'à boutique et fait la macabre découverte. Tombant à genoux ses mains tremblantes touchent le corps inerte de Matis. Les sanglots montent dans sa gorge.

Elle l'appelle, le secoue, avant de réaliser qu'il est vraiment mort. Alors elle pleure toutes les larmes de son corps, en criant en vain le nom du défunt. Ses doigts s'agrippent à sa chemise, prit de spasmes.

L'orage claque dans le ciel à l'unisson de ses cris de douleurs.

Les pleurs se transforment alors en colère. Elle serre les poings, les dents, gronde puis hurle de rage. Elle se redresse. Son rimmel coule, se mêlant sur sa joue au sang de son époux. Tout est blanc dans son esprit, seule la fureur brûle.

En quelques secondes, elle appelle la police, mais elle n'a pas la patiente de les attendre.

Ses mains saisissent sans réfléchir tout ce qui lui semble plus ou moins utile : une lampe torche, une dague et un collier qui a attiré son attention par un éclat étrange.

Dans l'encadrement de la porte de la boutique, sur un fond de claquement d'orage, Suu fait le serment, sur la tête de sa fille, de se venger Matis. 

 

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Yenka ! [Aventure - Fantastique]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant