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— Calmez-vous ! Vous ne pouvez pas y aller comme ça ! geint Lufu paniqué.

Suu ne répond pas. Sa démarche est déterminée, son pas est raide, tendu par ses muscles qui réclament de se déchainer sur la sorcière. Elle ne sent pas la végétation qui fouette ses avant-bras et ignore la boue qui colle à ses pieds.

— Vous allez affronter une mage Suu ! Réfléchissez ! insiste, le collier.

— Elle a ma fille ! Je n'ai pas le temps de faire un plan ! elle serre les dents et les poings.

— Et vous comptez vous rendre en ville à pied ? se moque la dague.

— J'en sais rien ! réponds la femme agacée de sa propre impuissance.

La vieille à raison. Une fois sortit du marais, comment aller sur place ? Mais se poser et réfléchir est une perte de temps, Suu avance sans aucune stratégie en tête. Seule l'image de cette femme égorgeant sa fille occupe son esprit. Sa rage cache une peur profonde et douloureuse qui laboure son cœur et fait bouillir son sang.

La culpabilité essaie de se frayer un chemin dans le fil de ces pensées. Peut-être que sa belle-famille avait raison, qu'elle est une mauvaise mère malgré tous ses efforts.

— J'aurais aimé que maman se batte aussi pour moi, murmure Max.

Ces quelques mots apaisent Suu.

— Je ne suis pas sûre Max : je ne suis pas un exemple, tu sais... dit-elle en progressant dans le bourbier à la lueur de la lune.

— Elle ne s'intéressait pas à moi et me disait « je t'ai pas voulu toi ».... sinon je ne serais pas partie.

Suu se calme en écoutant la terrible histoire de Max qui ressemble à un puzzle de souffrances. Le drame de cette pauvre âme noue son estomac et impose un silence où seul se fait entendre le grésillement des insectes.

— Pour vous avoir vu venir plusieurs fois à la boutique avec votre fille, je n'ai pas l'impression que vous êtes une mauvaise mère, tempère Lufu, Sam est bien élevée et vous adore.

Suu a envie de pleurer, beaucoup de sentiments différents remuent en elle. Sauver Sam est sa priorité par tous les moyens : cette idée la regonfle à bloc de combativité.

Son pied touche enfin une terre ferme : une route est visible à quelques minutes. Suu presse le rythme et espère trouver quelqu'un qui la prendra en stop.

— Dites-moi Lufu, commence la dague pour briser le silence, vous avez un plan ? En dehors de pleurnicher, j'entends.

— Vous vous reposez sur moi pour la réussite de notre aventure ? répond-il agacé. Je n'ai pas la science infuse.

— Les divinités de mon peuple avaient réponse à tout. Rester dans ce caillou vous a affaibli. À moins que vous ne soyez pas ce que vous prétendez être ?

— Vous croyez que j'apprécie mon sort ?! Je n'ai pas demandé à être enfermé là-dedans pour que des sauvages dévorent mon corps et s'approprient mes pouvoirs !

Suu préfère ne pas imaginer cette horrible scène ni ce qu'a dû ressentir Lufu à ce moment-là.

— Et... ils sont devenus des dieux ? demande la dague sans aucune compassion.

— Non, il essaie de se calmer, ils ont été punis par mes frères et sœurs dans d'atroces souffrance Depuis les dieux de mon panthéon ont préféré de se détourner des humains et ont fini par se faire oublier.

— Des dieux sans croyants ? Je ne pensais pas que ça pouvait exister.

— Très chère, il y a énormément de choses que vous ignorez.

Pendant qu'ils se disputent, Suu a rejoint la route et aperçoit des phares de voiture. Par crainte que le véhicule ne s'arrête pas à son appel du pouce, elle se dresse au milieu de la route en pleine nuit.

Évidement la dague la traite de folle, Max tremble dans sa poche, et si Lufu pouvait fermer les yeux il le ferait sans aucun doute.

Un crissement de pneu perce les ténèbres quand la silhouette de Suu apparait dans les rayons des phares. Une insulte fuse depuis une voiture dont une musique, épileptique, secoue la carcasse du vieux modèle.

Suu avance et fait de son mieux pour rester calme.

— Je dois me rendre en ville c'est urgent. Tu peux me déposer... s'il te plait ? demande-t-elle au jeune homme seul.

— Et qui me dit que tu n'as pas un rapport avec un gang ou quoi ?! Cri-t-il une cigarette à la bouche. T'as vu ta dégaine ? Tu sors du marais... il poursuit pas en remarquant le maquillage de crâne sur le visage de la femme.

Il déglutit.

Une minute plus tard, elle est sur le siège passager. Le conducteur se fait tout petit.

— Tu t'appelles comment ? Demande Suu d'une voix faussement tranquille à l'homme terrorisé.

— G-Greyson Madame.

— Une fois en ville, tu me vendrais ta caisse ?

— Ce tas de ferraille ? Vous êtes sûre ? elle hoche la tête. Elle ne vaut plus grand-chose, c'est presque une épave, genre... 5OO dollars ?

— Vendu, répond-elle en sortant un chèque pour le remplir.

— Vous... allez faire quoi en ville ?

— Botter le cul d'une nécromancienne qui a kidnappé ma fille.

L'homme fait un « Oh » avec la bouche pour lâcher finalement un :

— Putain c'est classe !

— Ouais. Tiens Grey, et achète-toi un truc cool avec cet argent.

— Oui Madame !

Puis, le silence se fait. Le regard de Suu observe les gros nuages qui s'amoncellent au-dessus de la ville.

— On dirait que ça se concentre sur un endroit en particulier, constate la dague.

En effet et les lacérations d'éclairs bleutés à travers la masse de coton noirâtre ne présagent rien de bon. Greyson parle de ce mauvais temps très étrange. Il aura une réaction de Suu de temps en temps qui reste focalisée sur son objectif.

Une fois à l'entrée de la ville, il empoche le chèque et lui laisse les clés sous un vent cinglant et moite. Puis il disparait rapidement pour éviter la tempête.

Les objets perçoivent une grande agitation : les esprits grouillent, s'affolent, certain fuient la ville et d'autres s'y pressent dans une direction bien précise. Un chaos ambiant règne dans le plan de la demi-vie.

Les rues sont vides chez les vivants. Suu regarde le ciel : les nuages s'accumulent au-dessus de la cathédrale Saint-Louis. Elle rentre dans le véhicule. Boucle sa ceinture. Ajuste les rétroviseurs.

Puis fonce à travers les quartiers pour arriver face au majestueux édifice aux portes fermées.   

— C'est quoi le plan ? demande Suu en cramponnant le volant.

— Et bien... la dague se tait.

— Nous pourrions faire une reconnaissance avant de se jeter dans la gueule du loup ? propose Lufu.

— Moi j'irais lui rouler dessus ! Hurle la petite lampe.

Suu sourit en coin. 

 

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Yenka ! [Aventure - Fantastique]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant