Le Cycle des Ramures - Tome 1 : Les Musicéens de Castelbouchon [Terminé]

Chapitre 34

Le soleil était levé depuis quelques heures, et le groupe fut prêt à partir. Justinien avait beaucoup réfléchi au meilleur moyen de rendre cet instrument, toutefois pour lui il était évident qu'ils devaient faire le tour de la question discrètement avant d'aller retrouver le roi Meloric. Il était encore perdu dans ses pensées, pas tout à fait convaincu de la marche à suivre. Si on les prenait pour des membres du gang de Pie, ils allaient avoir alors beaucoup de mal à prouver leurs bonnes intentions. Il allait soupirer comme d'habitude quand soudain Suseline, Lilinotte et Joan se plantèrent devant lui. Les enfants de Chosef avaient rassemblé dans un petit panier, une dizaine d'abricots et une bouteille de liqueur. Le médecin rangea immédiatement son scepticisme de côté et accepta au nom de tout le groupe ces généreux cadeaux.

— C'est sûrement ce que j'aime le plus lors des aventures, déclara Justinien.

— La liqueur ? demanda Merle.

— Non, je parlais de la gentillesse des gens. Bien sûr, notre monde est peuplé de quelques voleurs... Je voulais dire de quelques voleurs malhonnêtes. Mais à côté de ça, il y a tant de personnes adorables.

En entendant la phrase de Justinien, le visage de Léopoldine s'assombrit un peu plus. Quant à Izak, si l'on omettait les quelques grognements, il avait gardé le silence depuis la veille.

— Dis donc, Ruben... ai-je dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? chuchota le médecin au prisonnier, en relevant l'attitude étrange du rivois et de la bramane.

Ruben n'en savait pas plus. Lui aussi avait remarqué la froideur de son compagnon de chambre au réveil. Comme il avait bavé sur le sac de son ami, il pensait que c'était peut-être sa faute. Il se contenta d'un haussement d'épaules.

— Je vais vous amener jusqu'aux Buttes-Chaudrons, coupa Chosef. C'est l'île la plus proche du château-phare. Malheureusement, je ne peux pas vous emmener directement à Portpoudrin, les taxes pour y accoster sont très élevées.

— On pourrait vous les payer si nécessaire, répliqua Justinien.

— Ça serait gentil, mais il y aurait toute la paperasse à régler. Comme vous êtes des étrangers, les vérifications seraient plus longues et ça nous prendrait la journée entière. Alors que depuis les Buttes Chaudrons vous aurez juste à traverser le pont.

Le groupe qui voulait absolument éviter les contrôles tant qu'il n'en savait pas plus sur l'histoire de la mandoline, n'insista pas. Et ainsi, les arpenteurs embarquèrent sur la barge de Chosef.

L'esquif à fond plat sillonna le delta. Ce dernier paraissait déjà immense aux yeux des voyageurs la veille, mais avec la réunion de l'Adoré et la rencontre avec la Baie Adossée, l'embouchure se déploya encore plus. Difficile au bout d'un moment de distinguer les berges des deux fleuves. Sans compter que le trafic devint de plus en plus important. Chosef évitait les canaux les plus fréquentés par les autres nochers en usant de ses connaissances et de son orientation. Malgré la largeur et la multitude des voies navigables, Bourgbouillon s'encombrait en approchant de l'île du château-phare.

— C'est pas pour rien que le royaume s'appelle Castelbouchon ! fustigea Chosef en s'engageant dans un bras bloqué par une dizaine de bateaux croulant sous le poids de leur marchandise.

La barge arriva en fin de matinée, jusqu'à un îlot peu commun. Cela faisait longtemps que les aventuriers n'avaient pas mis les pieds sur un terrain aussi dur. En effet, les tannes étaient un amoncellement d'alluvions plus ou moins stabilisé par les racines de sa végétation. Cet îlot, où les arpenteurs venaient de débarquer, était en pierre. De la pierre noire bien solide. On aurait dit une agglomération de petits volcans affleurants à la surface de l'eau dont le sol basaltique rappelait immédiatement le massif du château-phare à proximité. Face à cette terre de pierre : la mer ! Immense, bruyante, profonde, mystérieuse et puissante. La Baie Adossée était parsemée de taches claires affrontant le vent du nord.