Le Cycle des Ramures - Tome 1 : Les Musicéens de Castelbouchon [Terminé]

Chapitre 57

La tempête faisait rage. Des hauteurs de la Conservatour, les arpenteurs observaient à la fois la mer dévaster Bourgbouillon, et la montée de l'insurrection. Les régiments de l'Ordre d'Eurythmie avaient forcé le portail de Courboulgoure et marchaient en formation vers la tour. Derrière eux, une foule en colère avait apporté son lot de torches et toutes improvisations d'arme avec elle. Sur ce point, il y avait une invraisemblable diversité et ingéniosité à trouver quelque chose pour faire mal aux nuisibles joueurs de musique. Ça allait du caillou tout simple, mais bien lourd, au tesson de bouteille bien tranchant, en passant par la fourche bien piquante ou par la cuillère géante des Buttes-Chaudrons bien... bien... heu concave.

Bref, la princesse, constatant la situation lui échapper, exigea depuis son balcon que les chevaliers et la foule soient dispersés. Cependant, les meneurs avaient coupé court à la discussion : « L'Ordre d'Eurythmie ne répond qu'à sa Majesté le roi ! » entendait-on, ou encore « Les imposteurs qui jouent de la musique doivent être bannis de Castelbouchon. »

La pauvre Melomia essayait de raisonner ses sujets. Hélas ses mots étaient au mieux un peu maladroits, au pire carrément condescendants. De toute façon, la tempête couvrait sa voix fluette au point qu'on ne la comprenait pas et ce n'était pas plus mal.

Le chevalier au casque en forme d'olive avait fait une drôle de découverte au pied de la tour. Il sauta de son destrier et s'approcha de l'objet inconnu. Des débris de bois et de pièces métalliques, l'officier identifia le luth que la princesse avait jeté depuis le sommet de la Conservatour quelques jours plus tôt. Rappelez-vous : quand Léopoldine rencontra Melomia pour la première fois. Horrifié par ses craintes confirmées, il piétina les restes de l'instrument immoral avec haine.

Seul le roi pouvait encore raisonner son peuple et son armée. Hélas le monarque était au plus mal. Depuis la veille, il avait sombré dans un état comateux qui inquiétait particulièrement Justinien. Merle était à la porte de la chambre du malade, guettant la réponse de son mentor. Elle répéta sa question :

— Justinien, que fait-on ? Ruben attend en bas.

— Je sais, Merle.

Il était assis sur une chaise au chevet du roi feignant l'assurance. Pourtant, le médecin n'était pas serein. Comment pouvait-il l'être ? Il le fallait, ou au moins le faire croire. Car autour de lui, ses compagnons, la princesse, le prince et la charmante servante l'avaient désigné sans son approbation comme leur conseiller. Et en tant que tel, il devait garder la tête froide pour que le groupe ne sombre pas dans la panique. C'était doublement raté. D'un, il était lui-même en train de claquer des dents et de deux, tous ses amis sentaient leur situation s'orienter vers un destin condamné.

Son assistante répéta une énième fois sa question. Il serra les poings et prit une décision difficile :

— Ferme les portes, Merle. Tant pis pour Izak et Léopoldine.

— Tu es sûr ?

Évidemment que non, bon sang ! Mais il se garda de le dire et préféra répondre en se levant :

— Si l'Ordre monte jusqu'ici, les chevaliers ne nous écouteront pas, ils nous jetteront au cachot. Si les castelbouchois ne nous lynchent pas avant.

Merle pinça ses lèvres et fonça vers le couloir pour crier à Ruben de verrouiller l'accès de la Conservatour. L'aspirant voleur s'exécuta et baissa les différents loquets et avec l'aide de Loucetta et du prince Meloguste, mit en place l'épart. Cette fois, la tour fut hermétiquement fermée à sa base. Impossible pour l'assaillant d'y pénétrer sans passer plusieurs heures à abattre l'épaisse porte d'entrée.

***

Si la bramane et Izak s'endormirent rapidement, il fut bien plus compliqué pour eux de se réveiller. Toutefois, Léopoldine était confiante, elle savait que la magie qui les avait plongés dans le sommeil allait s'estomper. Il leur fallait être patients... Pas vraiment le point fort d'Izak.