Chapitre 2

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      J'avais onze ans, j'entrais au collège. J'avais passé toutes les vacances d'été à angoisser pour ce moment et maintenant j'y étais. Ma mère ne cessait de me rassurer, et je la croyais. En soi, qu'est-ce qui pouvait mal se passer ? J'avais mon groupe d'amis, la "bande", comme nous aimions nous surnommer. Et même si il était peu probable que nous soyons tous les cinq, nos mères, à Isabelle et moi, avaient écrit une lettre pour que nous soyons dans la même classe, et apparemment ça marchait à tous les coups. Tant que ma meilleure amie était avec moi, qu'est-ce que je pouvais bien craindre ? Avant même que nous rencontrions Anatole nous nous entendions bien, et lorsque nous avons rencontré celui qui deviendrait notre meilleur ami, nous sommes devenues inséparables.

      Et ça n'a pas manqué, nous fûmes toutes les deux envoyées dans la même classe. Avec Anna. Lorsque j'avais vu le proviseur, ce petit homme au long manteau gris, aux sourcils broussailleux et au regard dur, appeler son nom, j'avais eu peur, sans savoir pourquoi. Après tout, c'était mon amie, elle aussi. En rejoignant ma nouvelle classe, je vis ma mère lever les pouces en signe d'encouragement. Si elle avait su...

      Je ne sais plus vraiment comment tout a empiré. Je sais simplement qu'Anna se mit à réclamer Isabelle à longueur de temps. Je n'ai même jamais su pourquoi. Je n'ai que de brefs souvenirs, des images : Anna me disant qu'elle voulait passer le cours d'EPS juste avec Isabelle et que je n'avais pas le droit de leur parler. Anna m'expliquant qu'elle s'était mise en binôme avec Isabelle en histoire alors que nous avions prévu de nous mettre ensemble. Plus l'année passait, plus Isabelle et moi nous éloignions. Mais si ce n'était que ça...

      Être seule pendant les cours, je pouvais le supporter, je retrouvais mes amis durant la récréation. Enfin, au début. Lucas et Anatole idolâtraient presque Anna, et n'auraient jamais osé la contredire. Alors, lorsqu'elle s'est mise à m'exclure, ils n'ont rien fait. Encore une fois, il ne me reste que des éclats : des récréations assise par terre, en train de lire un manuel de cours pour m'occuper et ne pas penser, des jours où mes amis changeaient de table dès que j'approchais, des trajets durant lesquels ils se mettaient à courir pour que je ne les rejoigne pas. Les fois où ils m'avaient donné rendez-vous pour se balader dans le quartier mais qu'ils détalaient en rigolant lorsque j'arrivais.

      Et les insultes. Toujours plus nombreuses, toujours plus violentes. Comme une pluie de pierres se changeant en averse au fil de l'année. Chacune laissant une marque plus ou moins profonde. Malgré la stupidité des propos, j'étais blessée à chaque fois. Au fur et à mesure, je me laissais ensevelir par la haine d'Anna.

      Ce jour où j'avais osé riposter, où Anna m'avait répondu si violemment que je m'étais effondrée en cours de maths et que ma mère avait dû venir me chercher.

      Ce jour où, pour la première fois, elle m'a atteinte physiquement. La vision d'Anna me poussant violemment, qu'elle me crache des insultes alors que je suis à terre. Cela s'est rarement reproduit, mais chaque nouvelle fois où Anna franchissait cette barrière m'a marquée.

      Ce jour où, n'ayant exceptionnellement pas cours, j'avais invité Isabelle chez moi, pour manger des pizzas. Isabelle m'avait demandé de ne pas prévenir Anna. Et cette dernière, ne supportant pas d'ignorer où se trouvait Isabelle, avait tenté de la joindre par tous les moyens, l'appelant des dizaines de fois sur son portable, et allant jusqu'à se faire passer pour une de mes voisines afin d'accéder à ma porte d'entrée et de sonner pour de vérifier si Isabelle n'était pas chez moi. Nous n'avons jamais ouvert, mais nous fûmes incapables de sortir acheter les pizzas de peur de croiser Anna.

      Ce jour où, enfin, n'y tenant plus, j'avais tenter de m'arracher des veines avec un compas. Pour ne plus jamais entendre les moqueries et insultes d'Anna. Pour ne plus pleurer le soir. Pour ne plus me cacher durant les récréations. Pour qu'Isabelle cesse de se sentir coupable.

      Ce même jour où ma meilleure amie cria à Anna de m'arrêter à travers la salle de français. Le geste de celle-ci, attrapant mon bras, m'empêchant de terminer ce que j'avais commencé, ce qu'elle avait amorcé. Cette cruelle ironie. Les regards des autres élèves. Du prof, un remplaçant qui ne connaissait même pas mon nom. Les marques sur mon cou.

Où est la notice pour être heureuse ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant