Chapitre 3

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      Puis, le vide. Après cette fois où j'ai voulu tout arrêter, plus aucun souvenir net. Je serais bien incapable de dire comment la situation a évolué jusqu'aux grandes vacances. Les deux derniers mois scolaires n'ont laissé aucune trace dans ma mémoire. C'est comme si la frise chronologique de ma vie avait été déchirée sur une durée précise. Et ce, jusqu'à la rentrée en 5e.

      Ma mère avait fait à nouveau la demande de l'année précédente : que je sois avec Isabelle. Ce fut la cas. Et elle avait demandé à ce que je ne sois pas avec Anna. Car ma mère savait, elle avait toujours su. Il est difficile de cacher des choses à la personne qui vous connaît le mieux. Elle avait bien fini par remarquer que je n'étais plus la même. J'avais beau avoir toujours été timide, il était évident que je n'allais pas bien. Et, dès qu'elle le remarqua, elle fit tout pour m'aider. La seule qui ait agi. Elle me soutint du mieux qu'elle put à la maison. Fut toujours présente lorsque j'en avais besoin. Passa des heures dans le bureau du proviseur à s'énerver contre lui et le CPE. En vain, mais le simple fait qu'elle n'est jamais restée les bras croisés compta beaucoup pour moi. Elle ne sut jamais l'ampleur de ma détresse, ni le faut que je tentai de me tuer. Je ne lui dirai jamais, elle recommencerait à s'inquiéter, et elle a sûrement mieux à faire.  Mais je ne sais pas si j'aurais tenu aussi longtemps sans elle.

      Me voilà donc en 5e, dans une nouvelle classe, seulement avec des élèves que j'avais déjà aperçu mais sans plus. Seule avec Isabelle. Et lui. Ce garçon que je connaissais à peine, seulement de nom. Je ne suis pas sûre que le coup de foudre amoureux existe, mais avec Victor, ce fut un coup de foudre amical. La première fois que mon regard s'était posé sur lui, j'avais voulu devenir son amie. C'était en sixième, peut-être était-ce donc le désespoir qui pensait pour moi, mais je voulais absolument le connaître. Ce garçon tout maigre, avec ses habits un peu ridicules et ses cheveux noirs ébouriffés, son sac à dos qui le faisait dangereusement vaciller en arrière lorsqu'il rigolait et ses lunettes rondes, un peu comme Harry Potter mais en plus pathétique.

      La fille timide de onze ans que j'étais n'aurait jamais été lui parler. Celle de douze ans non plus d'ailleurs. Ce fut Isabelle qui l'aborda en premier. Sa meilleure amie avait déménagé, il était seul. Il devint vite notre meilleur ami. Il parvint à me faire oublier les événements de l'année précédente, ou tout du moins, à endormir ces souvenirs. Il réussit à me faire oublier Anna.

     Celle-ci disparut de ma vie aussi rapidement qu'elle était apparue, devenant une fille populaire, restant amie avec Lucas. Anatole se fit également de nouveaux amis, mais resta relativement proche de nous. Je n'en voulais pas à Isabelle. Je me souviens de ses regards désolés, de sa gentillesse lorsqu'Anna était absente. Je me souviens des heures passées dans mon lit le soir, en essayant, désespérée, de lui parler par télépathie. Je lui répétais que je l'aimais quand même, que je ne lui en voulais pas, qu'elle était toujours ma meilleure amie. Je n'en voulais pas à Anna non plus. J'aurais dû, mais ma mère m'avait un jour dit : "Tu sais, Anna elle doit pas être très heureuse dans la vie". Cette phrase m'a marquée, et je ne réussis qu'à avoir pitié de cette fille.

      Je continuai ma vie. J'avais une chance de tout reprendre à zéro, avec Isabelle. Et Victor. J'étais de plus en plus heureuse. L'année passa, calme. La suivante commença. Dans une nouvelle classe encore. Nous nous fîmes de nouveaux amis. Ils étaient plus proches d'Isabelle que de Victor et moi, mais nous nous avions l'un l'autre. Je n'ai jamais ressenti de sentiments amoureux pour lui, malgré toutes les rumeurs. C'était mon meilleur ami. Même si j'avais l'impression qu'avec lui c'était différent. Comme si, après deux ans à me sentir inférieur, j'avais enfin trouvé une personne comme moi, presque égale. Nous aimions les mêmes choses. Lire, le piano, le français. Il me fit découvrir Jules Verne, moi je lui montrai les sagas que j'avais préférées. Nous étions des intellos, mais peu importait. Il y eut toujours cette sorte de compétition stupide sur les notes entre nous, mais elle avait peu d'importance à côté de notre amitié.

Où est la notice pour être heureuse ?Where stories live. Discover now