Chapitre 3

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Je lance ma playlist, mais ça ne vas pas. Je passe la chanson, une fois, deux fois, trois fois, mais ce n'est toujours pas ça. Mais, ça y est je sais ce que je veux. "La cause" résonne dans mes oreille tandis qu'un large sourire intérieur s'étend en moi. C'est une chanson "thérapie", qui te remplit de fond en comble, qui décrit ce que tu ressens quand tu n'as plus la force de penser à tes émotions, qui te rappelle qui tu es, et pourquoi tu vis. Bref, j'arrive chez moi, revigorée mais je me sens toujours aussi fatiguée et vide. Comme la banane tombée sur le sol du self, dont l'intérieur n'est plus visible après avoir étalé par les pas, mais où la peau est toujours présente, tassée, rabougrie mais présente. Le reste de la journée passe rapidement, je me fais des pâtes aux courgettes, enfin, plutôt des pâtes avec des courgettes, puis travaille avant de préparer le repas pour ce soir.

Je m'époumone dans la cuisine, " et la nuit tombé pour ne plus jamais pleurer" quand le saladier s'échoue sur le sol et les œufs en neige se répandent au milieu des morceaux de verres. Je contemple le désastre en repensant à comment j'en suis arriver là. Le saladier dans ma main gauche, j'ai voulu le passer dans la droite pour attraper le chocolat, et visiblement je ne suis pas capable de me synchroniser. L'ouverture de la porte me fait sortir de ma torpeur, alors que je suis en train de nettoyer le carrelage.
-Putain Salomé !
-Bonjour...
-Sérieusement j'ai nettoyé la cuisine hier !
-Non mais je nettoie t'inquiètes.
-Putain, tu crois que je peux racheter de la vaisselle moi ?! C'est le deuxième truc que tu casses depuis vendredi, t'es pas capable de gérer tes mains, t'as pas 3 ans !

Je diffère. Et j'ai de la chance de pouvoir le faire. Par miracle il reste assez d'œufs pour finir le gateau qui part au four. Je m'échoue tel un cachalot sur un mon lit, et là seulement je prend conscience de ce que je ressens. Je me roule en boule en me mordant les doigts, je saurai pas dire ce qui se passe, j'ai l'impression d'exploser de l'intérieur. La porte s'ouvre à côté de ma tête et je reconnais au bruit que c'est mon frère.

-Dégage, nous je te jure dégage, c'est pas méchant hein, mais sinon je vais passer mes nerf sur toi alors que tu le mérites pas. Reviens plus tard.
-OK.

Je souris. Je suis fière de moi. D'avoir réussi à le dire. Je me retourne du côté de ma chambre et contemple le joyeux bordel. Mon lit fait face à une armoire qui occupe quasiment la totalité du mur. A sa gauche, un pouf trône et, entre lui et mon lit, sous les combles il y a juste la place pour mettre une sorte de colonne à l'horizontale qui fait office de bibliothèque. Adossé au mur entre la porte et l'armoire, il y a mon bureau. Ca et là, des habits, sacs, livres jonchent le sol, alors que les posters, affiches, photos, plantes ou encore citation envahissent les murs.
Je claque des mains, compte jusqu'à trois et me relève d'un bond. Lorsqu'un voile noir apparaît devant mes yeux, je le regrette immédiatement. Je m'accroche par habitude au mur et lui fout un petit coup pour finir de me défouler. Pendant un quart d'heure, je tente de ranger en vain ma chambre avant que ma mère nous appelle pour manger.

Je dévale l'escalier et entraperçois la porte d'entrée qui se referme. Je met la table et sers à manger en gueulant sur mon frère pour qu'il vienne m'aider. Il finit par débouler alors que j'ai finit.
-Bah elle est où ?
-Dehors.
Il essaye de chiper.
-Va falloir que tu te fasses à l'idée que tu n'y arriveras jamais.
-Ta gueule.
Je souris. Et visiblement ma mère est rentrée au vu de l'odeur de tabac froid qui se répand dans la pièce. On s'attable dans une ambiance morbide que mon frère comble plus ou moins.

-D'ailleurs c'est super bon Sam.
-Merci !
-En même temps, elle a intérêt. Faut bien qu'elle serve à quelque chose vu ce qu'elle va nous coûter en psy.
Elle a du passer une journée pire que ce que je pensais...Eliott me fais signe de me taire, mais je ne l'écoute pas.
-Fait pas genre, c'est Papa et moi qui payons !
-Tu me parles pas comme ça !
-Mais tu t'entends parler ?
-Va dans ta chambre !
-Mais je dis que la vérité !
-Va dans ta chambre !
-Je peux prendre mon assiette au moins ?!
-Non, et vas-t-en avant que ça dégénère !

Je sais pas si on peut saigner des dents, mais c'est ce que je ressens, ce goût amer dans la bouche, à force d'être serrées pour contenir toute ma colère. Je l'entend crier, encore, à travers le plafond, alors que je m'écrase contre mon lit, et ne ressens plus rien si ce n'est les larmes chaudes qui coulent le long de mes joues. Qu'est-ce qu'elles font là ? Les larmes c'est pour la tristesse pas la colère. Je ne suis plus qu'un amas de cellule, incapable de penser à quelque chose, tout se brouille dans ma tête, et ça me donne mal au crâne. Et j'attend, j'attend quoi ? Au fond de moi je sais, même si je ne me l'avoue pas.

Mon frère entre et je me retourne face contre l'oreiller. Je l'entend poser une assiette sur mon bureau, puis mon lit s'affaisse sous son poids.

-Sam ?
-Mmmmmh
- Ca va ?
Je me tourne vers lui et lui sert mon plus beau sourire.
-Oui, qu'est ce qui pourrait aller mal ?
-Sam...
-Je t'écoute.
-Tu sais qu'elle t'aime ?
-Je sais surtout qu'elle le montre mal.
-Elle s'inquiète pour toi Sam.
-On va dire ça.
Il soupire.
-Elle arrive, sois gentille.
Il m'ébouriffe les cheveux.
-Va te faire foutre Eliott.

La porte se ferme, et s'ouvre aussitôt. Je vais être gentille, je vais l'écouter pour une fois.

-Salomé ?
Elle est en pleure, son mascara a coulé sous ses yeux bleus. Elle vient se blottir contre moi, comme une enfant. Elle sent la cigarette, fort, trop fort.
-Je suis désolée, je ne pensais pas ce que j'ai dit, je sais pas pourquoi j'ai dit ça, j'ai eu une journée compliquée. Je suis désolée, je t'aime tu sais ? Tu sais ? Tu me promets que tu l'oublieras jamais ?
-Oui, t'inquiètes c'est pas grave, je t'aime aussi.
Elle reste là, sans bouger accolée à moi pendant un temps qui me paré interminable, j'ai tout sauf envie d'un câlin à ce moment. Tout sauf envie de sentir son haleine de tabac froid.
-Tu es fatiguée, va te reposer.
C'est moi qui lui dit ça, et je sais que ce n'est pas normal.
-Bonne nuit mon cœur.
-Bonne nuit.

Elle part, laissant son parfum écœurant embaumer l'entièreté de la pièce.

-Va te faire foutre, pourquoi ?
-Et vas y dégage, t'as pas autre chose à foutre que de me prendre la tête là ?
-Va te faire foutre, pourquoi ?
-Parce que ça te changera puceau.
C'est pas méchant, c'est réel. C'est qu'il a pas un grand succès auprès des femmes mon frère, du haut de ses 1m68, son corps tout gringalet et sa timidité, pas du genre a ramené une fille pour un coup d'un soir. Et puis, il a déjà était en couple, deux fois mais elle finisse par le lâcher, étant à la recherche d'un homme viril et pas sensible, protecteur et pas avec de la douceur.
-Tu crois que t'es mieux ?
-Non, mais je n'ai pas le même âge. De toute façon c'est débile, puceau c'est un défaut pour les gars, mais vierge c'est un avantage pour les filles.
-J'avoue, on fait la paix ?
Je lui serre la main.
-Mais en vrai quand est-ce que tu as le temps de penser à ça ?
-Tu l'aurais aussi si tu le passait pas à te branler.

Il retire sa chaussette et me l'envoie dessus. Je lui gueule dessus, mais ne lui en veut pas, je l'ai bien chercher. Ce que j'aime bien avec mon frère c'est qu'on se répond du tac au tac, comme un dialogue écrit, car on sait que peut importe notre première pensée, l'autre ne nous jugera pas. Et puis il est con, donc j'ai pu le détourner de son objectif.

-Mais du coup va te faire foutre, pourquoi ?
-Tu lâcheras pas l'affaire ?
-Non.
- Va te faire foutre d'être le gosse parfait qui donne pas de problèmes à retordre. Va te faire foutre de jamais être à la maison. Va te faire foutre de rien comprendre. Ca te va ?
-Ca depend, t'as fini ?
-Non.
-Alors ça me va pas.
-Va te faire foutre de me laisser seule avec les problèmes de maman, avec sa colère contre Jérôme, contre toi, contre moi, contre papa, contre son boulot. Va te faire foutre de pas m'avoir protéger du merdier qui nous entoure, des problèmes d'argent, des problèmes de famille, des problèmes d'addictions, des problèmes de dépressions. Va te faire foutre de la laisser me transformer en adulte alors que je suis qu'une enfant. Va te faire foutre de la laisser se transformer en enfant alors que c'est une adulte.

Il encaisse, sans broncher, parce qu'il sait que tout n'est pas faux, parce qu'il sait qu'il n'a pas forcément toujours été à la hauteur, parce qu'il sait que si je lui adresse ces reproches, je m'en adresse dix fois plus.

-Ouais, t'as raison.
-Non j'ai pas raison, t'es un grand frère super, et un fils génial Eli.
-Toi aussi Sam, toi aussi.

Il cogne son front contre le mien dans un mouvement brusque mais pourtant rempli de douceur, c'est peut-être bizarre comme façon de faire, mais c'est la seule où on s'est retrouvés, la seule qui pour nous veut dire "je t'aime", "sois fort(e)", "ça va aller", "je comprend", "je suis là". C'est peut-être bizarre comme façon de faire, mais je crois que lui et moi on l'est tout autant.

La signification d'un regardWhere stories live. Discover now