Chapitre 8

7 2 0
                                    

La semaine a filé entre les feuilles des arbres qui tombent et les copies doublent achevées. Pour la première fois, j'aurais voulu ralentir le temps, faire des croches pieds aux aiguilles, arrêter les heures des aiguilles. Mais m'y voilà, devant ses plaques, aujourd'hui mates n'ayant plus de lumière a reflété. Les nuages ont enlacés le soleil, si fort qu'il ne peut plus briller. Il ne pleut pas, il ne fais pas si froid, ça pue juste la grisaille. Je pousse la porte, elle ne grince même pas. Le hall s'ouvre à moi, vide, mes pas résonnent et l'odeur du propre devient trop simple. Tout est terne. Les enfants de la salle d'attente ne sont plus là, y résident seulement des adultes tristes, abîmés par la vie, tous plus banal les uns que les autres. Je m'assoie sur une chaise, ni agréable, ni douloureuse. Une chaise de celles en plastique, avec un dossier, mais qui, lorsqu'on s'appuie dessus, ce déforme vers l'arrière. Je suis en avance aujourd'hui, je tourne les faces du cube coloré qui se fait et se défait inlassablement entre mes doigts.

-Mme Daris s'il vous plaît ?

Je prend mon manteau et jette mon rubik's cube dans mon sac que j'avais laissé ouvert pour être rapide. J'ai toujours trouvé angoissant ce moment où on t'appelle et tu dois te préparer et arriver alors que tout le monde te fixe. Toujours est-il que je finis par arriver dans ce bureau, et reste debout à côté de la chaise ne sachant si je peux m'asseoir, avant qu'elle m'invite à le faire. Elle a rajouté un livre dans sa bibliothèque, mais le titre est trop petit.

-Comment vas-tu ?
-Bien...Mais j'imagine que ce n'est pas quelque chose qu'on dit dans le cabinet d'une psy...

Je ne sais pas si je dois rire ou si je ne dois rien dire. Je ne sais même pas si c'est une blague, ou si je le pense vraiment.

-Si c'est ce que tu ressens, tu sais il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises

..."situations. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd'hui avec vous, maintenant, je dirais que c'est d'abord les rencontres... ". Je ne sais même pas d'où sort cette réplique.

-réponses. Qu'est ce que tu en penses ?
-Je suis d'accord, c'est vous la professionnelle...
-Est ce que tu pourrais me raconter un événement qui t'as marqué dans ta semaine, que ce soit important ou non d'un regard extérieur ?

Alors, je lui raconte, pour ma voisine en histoire, le "salut" et les morceaux de discussions. Et elle écrit, elle écrit. Toujours ce maudit stylo qui gratte la feuille sans pause. Toujours ces mots qui se couchent sur le papier. Toujours ces lettres qui atterrissent entre les lignes. Toujours cette encre qui coule sur la page.

-Tu aurais envie que ça devienne une amie ?
-Non.

Non, parce qu'elle n'a pas d'amies. Elle virevolte entre les personnes, elle sourit à tout le monde, elle complimente dès qu'elle croise quelqu'un, elle rigole avec tous. Mais, elle n'a pas d'amie, ou alors nous le somme tous. Pourtant, ce n'est pas ce qui manque, chacun voudrait l'être. Mais elle se plaît à être autonome, à prendre un peu de chaque personne pour devenir elle-même, à être apprécier sans pouvoir être saisie. Elle ne s'attache pas aux gens, elle rebondit vers d'autres. C'est un électron libre, et elle l'a décidé.

-Pourquoi ?
-Parce que j'en ai déjà et que ça me suffit.
-Ah oui ? On m'avais mentionné sur le dossier que tu étais le plus souvent seule...
-Il faut pas croire tout ce qui est dit, les personnels du lycée ne sont pas derrière mon dos pour savoir si oui ou non je parle à des gens, si je mange seule ou si j'ai des amies dans ma classe, ce serait ridicule je suis une élève dans un millier, ils ne connaissent pas ma vie même si ils prétendent que si. Et puis même, si j'étais seule ça ne serait pas grave, pas de quoi le foutre sur un dossier, je veux dire on peut s'épanouir sans amies, c'est pas une preuve de mal-être, pourquoi le mettre sur un dossier psy...

Je sais que j'en ai trop dit et que ce n'était pas respectueux. Je le sais, après coup, impossible de me dire sur le moment qu'il faut que je m'arrête. C'est pas grave c'est un dérapage parmi d'autres. Elle m'ignore et continue :

-Bien, nous allons passer à une activité si tu le veux bien.
-...
-Je vais te dire un mot, et tu dois me répondre le premier mot auquel cela te fait penser.
-...

Je ne comprend pas. Je ne comprend pas quand est-ce que je suis censée répondre, elle fait des sortes de questions-affirmations. Je ne comprend pas non plus comment je suis censée faire sa foutue activité, comment je vais savoir lequel a été le premier mot, un cerveau ça parle tout le temps et puis j'ai déjà fait des jeux de ce style quand j'étais plus petite et je répondais toujours à côté de la plaque :" Cadre ?", "Panda". Je n'ai plus qu'à essayer et surtout à bluffer.

-Famille ?
-Joyeuse.
-Amies ?
-Trois.
-Lycée ?
-Cours.
-Classe ?
-Camarade.
-Professeurs ?
-Cours.
-Cantine ?
-Repas.
-Foule ?
-Gens.
-Chambre ?
-Lit.
-Nuit ?
-Sommeil.
-Salomé ?
-Moi.

-Non, ce n'est pas ça Salomé, tu sais, je ne suis pas dupe...

..."et même les fleurs de ma jupe s'envole hauuuut", c'est quelle chanson déjà ? Pomme, mais laquelle ?

-Salomé ? Je voulais dire, les réponses que tu me donnes sont impersonnelles, j'attend que tu me dises à quoi, toi, les mots te font vraiment penser. Je ne cherche pas un synonyme du mot, mais ce qu'il te provoque, d'accord ?
-On peut essayer.

-Famille ?
-Séparée.
-Amies ?
-Joie.
-Lycée ?
-Long.
-Classe ?
-Stress.
-Professeurs ?
-Inintéressants.
-Cantine ?
-Bruyant.
-Foule ?
-Horrible.
-Chambre ?
-Refuge.
-Nuit ?
-Insomnies.

-D'accord, très bien.

Et puis, et puis plus rien. Le claquement des aiguilles qui sont épuisées de tourner en rond, de toujours recommencer le même chemin. La pluie qui bat dans les contretemps sur les carreaux. Faut croire que les nuages ont fini par lâcher, sous la pression. Eux, ils peuvent lâcher, pas les élèves. Je me récite mentalement ce que je dois faire et à quelle heure cet après-midi, avant d'en avoir marre.

-Pourquoi vous attendez ?
-Pour te donner un temps pour réfléchir à tes réponses.
-Mais, si vous me le dites pas, je peux pas savoir, alors j'y réfléchis pas.
-Tu n'y pensais pas là ?
-Non.
-Tu pensais à quoi ?
-A la pluie, au vent, aux aiguilles, au planning, aux devoirs, au repas... Vous voulez que je réfléchisses à mes réponses ?
-Non, ne t'en fais pas.
-Avant de finir, est-ce que tu as des questions ?
-Oui.
-Je t'écoute.
-Pourquoi je suis là ? Je veux dire qu'est ce que vous allez pouvoir faire ?
-Tu es là pour que je puisses t'aider à aller mieux.
-Oui, j'avais saisi le concept merci.... Mais, concrètement à quoi ça sert ? Vous allez me sortir une télécommande pour arrêter mon cerveau pour être attentive, vous allez me trouver des amies, vous allez me shooter pour que je dorme la nuit ? Je pense pas. Donc, qu'est-ce-que vous pouvez bien y faire ?
-Non, effectivement. On va plutôt essayer de travailler ensemble sur des techniques qui te permettraient de te concentrer, de comprendre pourquoi tu as du mal à aller vers les gens et d'essayer de trouver des solutions, de saisir ce qui te maintient éveiller, ce que tu ressasses lorsque tu t'endors.
-D'accord, mais dans ce cas là, pourquoi vous ne me le demander pas directement ? Pourquoi vous passez par des questions tordues pour essayer de me saisir ? Je les connais les réponses à ce que vous venez de demander, je veux bien vous les dire. Et une fois que vous les aurez vous ferais quoi ? Trouver des solutions, mais pour moi il y a pas de problèmes. J'ai toujours été comme ça, c'est ma personnalité c'est tout, il y a rien a réparé, je suis pas cassée ou alors je l'ai toujours été, mais je comprends pas pourquoi d'un coup ça intéresserait tout le monde.
-Je comprends ce que tu veux dire Salomé, on va en rester là pour aujourd'hui.
-C'est toujours votre technique d'arrêter de parler pour que je réfléchisses à ce que je viens de dire ? Vous vous dites quand une semaine j'aurais le temps de m'y consacré, détrompez vous, j'ai bien d'autres choses à penser.

Je n'attend pas sa réponse et m'en vais en lâchant tout de même un "au revoir". Ca a beau me faire mal de l'admettre, je crois qu'elle m'a eu. Je pousse la porte de l'immeuble en me demandant si finalement, je le serais pas un peu, cassée. Mais, qui est-ce que la société peut ne pas casser ?

La signification d'un regardWhere stories live. Discover now