Chapitre 6

9 3 0
                                    


-Oh oh oh qu'est ce que tu fous là ! Tu peux pas toquer comme tout le monde ! T'étais où même !?
-Non, mais c'est bon là !
-Enlève tes gros pieds de mon oreiller !
-C'est pas le moment Sam, vas-y tu peux pas être sympa deux minutes ?

Je le regarde, et il y a quelque chose dans son regard, il y a toujours quelques chose dans un regard. Alors je décide de l'écouter, pour changer.

-Pourquoi, qu'est-ce que tu as pauvre chou ?
-Et c'est bon tu m'as saoulé !
-Oh ça va, aller accouche.
-J'ai besoin de conseils.
-Pour cacher un corps ? Tu peux le dissoudre dans de l'acide ou le jeter au fond d'une rivi...
-Très drôle. Pour une meuf. 

J'avoue que je m'y attendais pas, Eli au cœur brisé, tellement timide qu'il n'ose même pas adresser un sourire à une fille ou juste la regarder, qui a un crush !

-Oh !
-...
-Bah vas-y je t'écoute.
-Elle s'appelle "Kèyssi", ça s'écrit Casey. Elle a le visage un peu carré, des cheveux bouclés châtain clair jusqu'à la mâchoire, un sourire au coin et un air déterminée. 
-Et tu la connais comment ?
-Elle est dans ma classe, elle m'a déjà demandé des trucs une ou deux fois, et elle parle avec Louis, mais je la connais pas vraiment.
-Et qu'est ce qu'elle a de si spéciale ?
-Elle a pas l'air d'être une fille qui veut être protégée par un gars, qui veut être dans les relations dominée/dominant tu vois ? Elle est belle, elle est forte, elle est drôle, elle est gentille avec tout le monde, elle a un sourire en coin, un air rieur. Elle juste elle même quoi. 
-Wah, t'es in love toi ! Et tu penses qu'elle peut être intéressée ? 
-Non, vas-y je suis passée pour un con une fois. 
-Seulement une !
-Ta gueule. En gros on étais dans le couloir, et il y a une meuf, Kélia je crois qu'il l'a appelé, d'ailleurs peut être qu'elle était dans ta classe parce que il y avait des gens de ta classe à côté. Bref, elle se faisait emmerder par un gars qui disait qu'il voulait la baiser. 
-T'es pas intervenu parce qu'il t'aurais foutu une gifle et tu te serais plus jamais relevé et elle y est allée ?

En temps normal, je lui aurais fait la morale, mais là je tiens à savoir la fin de l'histoire, et puis ça aurait était con qu'il se retrouver dans le coma pour ça. 

-Ouais c'est ça. Elle a dit un truc du style, "Tu pourrais la baiser, de toute façon t'en as une tellement petite qu'elle se sentirait encore vierge, vas-y dégage". Il s'est barré, et la fille était partie aussi, alors elle s'est adossée au mur à côté de moi en attendant qu'on rentre en cours. Et là, j'ai dit merci, elle m'a dit pourquoi, j'ai dit pour l'avoir aidée, elle a haussé les sourcils en disant c'est sûr que si j'avais du attendre que tu te bouges...
-Bah... Soit c'est un reproche, soit c'est une petite pique pas méchante. Je sais pas. Mais si elle est pote avec Louis essaye de lui parler quand t'es avec lui. Juste lui montrer que tu t'intéresses à elle, demande lui comment c'était son cours, en quelle classe elle va, si elle a passé un bon week-end. Ou alors essaye d'organiser un truc avec Louis, Hugo, et elle et peut-être une pote à elle... Après j'en sais rien, je suis jamais sortie avec personne donc c'est...

La porte s'ouvre dans un fracas, et un nain blondinet se rue vers moi en rugissant rageusement. Je le prend dans mes bras et le jette sur le lit pour qu'il aille dire bonjour Eliott. J'entend des pas qui court dans l'escalier puis Christine apparaît.

-Sacha, viens tu vois bien que tu les dérange là !
-Non, non il peut rester il ne nous gêne pas. 
-Non, mais de toute façon il doit aller se laver. 

Elle l'attrape dans sa course pour fuir avant de fermer la porte. Pas un regard vers Eliott, pas un bonjour, comment ça va. Il sort de la chambre, considérant la discussion comme finit. J'attrape mon téléphone, et trouve son compte Instagram en quelques cliques à partir du profil de mon frère, puis celui de Louis. Et je comprends ce qui voulais dire, cette beauté et cette force qu'elle dégage. J'en profite pour demander à mes amies si elle la connaisse mais ce n'est le cas pour aucune. 

Le bruit des couverts est caché par la voix de Christine qui raconte sa journée de travail après que mon père lui ai demandé comment ça s'était passé. Elle est comptable, ça me fascine toujours autant qu'elle bosse dans le monde de l'argent et de l'arnaque, elle qui se revendique écolo et gaucho, mais à vrai dire je n'y est jamais trop cru. Elle parle, elle parle, sans cesse, sans de "et toi comment s'est passé ta journée", sans de "et vous comment s'est passé votre semaine". Mais, c'est pas grave, j'ai l'habitude. Honnêtement, je ne sais pas ce que mon père lui trouve. C'est juste une femme centrée sur elle et sur son enfant. Possessive au plus haut point. Que le malheur s'abatte sur nous si nous passons plus de deux minutes avec SON fils, si nous avons une discussions entière avec SON conjoint. Elle oublie, elle oublie que son conjoint c'est notre père, elle oublie que son fils, c'est aussi son fils et c'est notre frère.
Mais c'est pas grave, on a l'habitude. Je pense que mon père s'en aperçoit, les soirs où elle n'est pas là, il le laisse jouer un peu plus tard le soir, pas longtemps, mais juste pour qu'il puisse s'amuser avec nous. Quand il s'occupe de lui, il vient toquer à nos chambres pour qu'il nous voit. Je pense qu'il s'en aperçoit, pourtant il ne dit rien. Il ne dit rien sur elle, qui interdit à Sacha de se resservir, elle qui fait des commentaires quand je le fais. Mais pas sur Eliott non, pas sur Eliott les garçons doivent manger, pour être fort. Décidément les gens sont omnibulés par ce que je met dans mon assiette, et ce que je peux avaler. Mais qu'ils aillent se faire foutre, ça fait cinq ans que je me gave pour prendre du poids, pour qu'on ne voit plus mes côtes à travers un maillot de bain. Ce n'est pas vos commentaires qui vont remettre en question l'avis du médecin, insuffisance pondérale, danger physique. Je n'ai jamais compris d'où ça venait, je n'ai jamais eu de troubles du comportement alimentaire, j'ai toujours mangé à ma faim, j'ai toujours était celle qui mangeait le plus. Un jour j'ai vu une vidéo d'un mec sur Instagram, un humoriste. Il imitait un gars qui lui posait une question " Mais comment tu fais pour être toujours aussi maigre ?", et lui répondait " Je suis stressé, miam miam l'anxiété." Ca m'a fait mourir de rire. Enfin, on dit mourir de rire mais déjà on meurt pas, mais surtout qu'on reste stoïque face à notre écran,  à la limite on esquisse un sourire, mais c'est tout. Je n'ai aucune idée de si cela peut être vrai, mais pour l'instant c'est la seule possibilité que j'ai trouvé. Et ça me semble probable vu la dose de stress qui m'attaque en une journée. Parfois, je me demande comment c'est possible. Comment c'est possible qu'on en soit arrivé à un point où la pression sur nos épaules est si forte, qu'on pourrait se casser, se rompre, comme une roche sous la contrainte en projettent des petites bouts de nos êtres tout autour de nous ? Comment c'est possible qu'on ce soit fait autant abîmé par la société ?


La signification d'un regardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant