Chapitre 10

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Sur la grande avenue, les filles débitent leurs paroles assommantes. Elles parlent de sujets  qu'elles ne connaissent pas, elles parlent de chose qu'elles ont entendu ci et là, elles parlent en ressortant des informations sans contexte. Elles parlent mais elles ne savent pas. elles déblatèrent dans une discussion décousue. Elles parlent, ensemble, avec moi au milieu ayant beau bouger, je finis toujours par me faire encerclée. Et c'est étrange, je me sens mise de côté alors que je ne veux pas être avec elle, je veux partir tandis que je ne veux pas leur faire du mal. Comme si en défaisant mes liens ils se nouaient.  

-...T'es pas d'accord Salomé ?
-De quoi ?
-Non mais laisse tomber, elle n'y comprend rien. 
Elles pouffent. D'un rire de dinde écervelée. Alors, je pointe une ruelle sur ma droite :
-Je vais passer par là, c'est plus court pour rentrer chez moi, j'ai découvert ça hier. 
-Bah non t'en vas pas toute seule, je pense que ça va aussi vers chez nous. Franchement t'es pas cool, je suis sûre que tu gagnes même pas deux minutes, dis-le si on te fais chier !
-Non non pas du tout, désolée juste je suis pressée je dois aller chez ma mère.
-Et c'est bon elle va pas crever si t'arrives cinq minutes plus tard. Bon on te suit. 


Je ne sais pas ce qui cloche chez elles. Mais il y a quelque chose qui cloche c'est sur. Mais quoi ? Comment trouver ? Qu'est ce qui me fait dire que ça ne va pas ? C'est en moi, quelque chose de profond, de viscérale, qui me dit de partir, loin, loin d'elles. Alors, pourquoi je ne le fais pas ? Parce que je ne sais pas ce qu'est cette chose et si elle a raison. 
Je dois avoir l'air folle, assise sur mon lit à murmurer des questions-réponses seule dans ma main. C'est la seule solution que j'ai trouvé en situation de recherche interne. Je ne sais pas penser. Les pensées se perdent au milieu des croisements neuronales sans savoir où aller. Elles se croisent, s'entrechoquent et en forment de nouvelles, bien éloignées des originelles. Alors, je parle, je fais ressortir les mots par ma gorge pour ne pas qu'ils s'égarent dans une marrée électrique. Alors, je répond ce que je pense ou ce qu'on attend de moi car généralement, c'est la bonne réponse. 

On gratte à la porte que je m'empresse d'aller ouvrir. Psychomiaou entre à vive allure avant de se réfugier sous le lit suivi de près par un Minymoys blondinet. Oui, j'ai un chat qui s'appelle Psychomiaou, et alors ? Thèse (très courte) de pourquoi c'est le meilleur prénom pour un chat :
1-C'est un gros dormeur (12-16h/j).
2-Il est intelligent et te manipules tel un psychopathe. 
3-Les canards font "kwak" et les chats "miaou".
4-Faut avouer que ça sonne bien. 
5-Mot le plus satisfaisant à dire. 
6-Cela met d'accord deux enfants par leur obsession commune, j'ai nommé les cartes Pokémon, ainsi des dizaines de minutes sont gagnés quand à la dispute au sujet du prénom.

-NOOOOOOOONNNN !PchikomiaouUuUuUuUuUuUu !
Sacha se jette au sol en pleurant pour ce chat inaccessible, et je le prend des mes bras en lui séchant ses larmes. 
-Je vais t'aider. 
Je le pose sur le lit et m'allonge la tête dessous. Je tend mon bras à l'aveugle et sens très vite la truffe humide de Psychomiaou se cogner contre ma main. Je la passe entre ses deux oreilles avant de me reculer progressivement. Quand son museau commence à ressortir, je fais signe à Sacha de ne pas faire de bruit. Le chat s'extirpe finalement de sa cachette puis viens se blottir contre moi. Je le prend dans mes bras sous ses ronronnements attendrissants et le dépose sur le matelas, à côté de mon frère. 
-Fais lui sentir tes doigts.
-C'est bon là ?
-Oui, tu peux le caresser. 
-C'est l'heure ! J'as oublié !
-L'heure de quoi ? 
-Je sais plus.... Si, si si, si, si ! D'aller chez Sandra !
-Ok, tu vas prévenir Eli ? 
Il sort en trombe de la pièce sans m'avoir répondu, mais je l'entends toquer à la porte d'a côté avant de l'enfoncer sans attendre. Il me fait rire, C'est une petite boule d'énergie, un petit être de bonheur, un cation. Technique celle-là, elle fait bien geek, mais qu'est ce que vous voulez, j'ai appelé mon chat Psychomiaou. 

La nuit est tombée lorsque la porte de ma deuxième vie s'ouvre sous mes doigts. Et c'est d'abord l'odeur qui me frappe, comme toujours, elle monte à la tête, le parfum d'une effluve étrangère de la même façon que lorsqu'on se rend chez des autres personnes. C'est une odeur de bois vieilli, d'un livre poussiéreux, de repas froid tel une maison désertée. 
-Elle n'est pas là ? 
Je me tourne vers mon frère, ce n'est pas le genre de chose dont je me préoccupe, alors il se charge de répondre à notre père. 
-Elle fait le deuxième 3x8 jusqu'à lundi, elle rentre à 23h quoi. 
Sacha papillonne dans la pièce en retrouvant les bibelots qu'il observe chaque semaine, puis mon père l'attrape au vol. 
-On va y aller !
L'insecte nocturne s'agrippe à mon cou et celui de Eli, alors que mon père nous enlace rapidement. C'est un homme timide auprès de ses enfants, toujours effrayé de nous oppresser, il tend jusqu'à nous mépriser. Un père qui a peur de trop vouloir s'infiltrer dans nos vies, de s'occuper de choses qui ne le regarde pas. Il ne parle pas de mes rendez-vous, ni des sorties de son fils, de notre semaine, de nos amies. Il ne veux pas gêner. Il parle de son métier, des cours, de Sacha, il parle en surface pour ne pas écorcher nos cœur interne de ses mains de père maladroit. Bref, un père. Un père qui disparaît avalé par la nuit. 

-Je monte, j'ai des trucs à faire. 
-Des trucs genre bosser ou pécho une meuf ?
-Bosser. 
-Je prépare le repas j'imagine...
-C'est bon je le ferais demain. 

Je prépare les courgettes pendant que les spaghettis virevoltent à la surface de l'eau, malmenée par celle ci, ils se cognent, s'emmêlent, et se noient. Ils crient au secours dans un frétillement impitoyable en remuant comme si ils avaient le feu aux fesses. Peut-être parce que c'est le cas. Puis, je les fais cuire avec quelques champignons et oignons. 
-Eli ! Ramène ton cul ! On bouffe !
-J'arrive ma sœur chérie !
Il descend sourire aux lèvres. Le vrai sourire celui qui te tire les joues au point d'avoir mal. Celui où tu as beau fermer la bouche, elle se ré ouvre bêtement. Celui qui te fais dire qui finalement la vie est belle. 

Il s'assoit silencieusement et nous sert, son visage comblé par la joie. Et je le regarde, et surtout je le vois ce garçon, cet homme bientôt, qui aujourd'hui me montre ses failles remplies de fleurs. Comme si maintenant, être attentionné et doux l'embellissait. Comme si maintenant, il avait trouvé comment les combler. 

-Alors ? Elle te kiffe ? 
Il lève ses yeux pétillants, son visage rougit jusqu'aux oreilles, mais surtout son visage apaisé, sans soucis apparent. Il sait à quoi il ressemble, il sait qu'il ne pourra pas cacher. 
-Je crois bien. 
C'est beau de voir un garçon amoureux, j'ai toujours eu du mal à le concevoir, qu'un garçon puisse aimer. On les voit toujours représentés comme fort et protecteur, on a l'image des hommes qui ne s'attache pas, des filles qui ne brillent pas dans leur regard. J'ai toujours cru, j'ai toujours vu que c'était les filles qui étaient amoureuses. Peut-être parce qu'aucun ne m'a jamais regardé, peut-être parce qu'aucun ne sait jamais intéressé à moi, ou peut-être parce que je ne les aies jamais assez regardé.
-Allez, raconte.
Il hésite, avale quelques bouchées puis se lance :
-On est allés en vile mercredi avec tout le groupe, et t'sais je t'avais dit elle est pote avec Louis, genre ça faisait quelques jours qu'elle nous rejoignait au lycée et tout. Et, les gars ils avait leur bus vers 18h, et elle à 19h, donc vu que moi c'était à 50 j'ai attendu avec elle. Donc on a parlé et, et , et euuuh bah voilà quoi. 
-Vous vous êtes pécho ? 
-Non, mais on a compris tous les deux que l'autre était en kiff. Et maintenant on parle par message. 
-Tu lui a proposé de se revoir ? 
-Oui. 
-Ah bah putain, je m'attendais pas à ça de toi !
-Je sais, mais c'est pas comme avec Chloé, j'ai pas peur d'être ridicule ou de ne pas savoir quoi dire ou quoi faire. Ou peut-être un peu, mais j'ai envie de la voir, et c'est comme si ça surpassait tout. 
Comme si l'amour était plus fort que tout. Jusque là je le savais. Je connaissais sa force, son pouvoir, pour arriver et tout changer. Pour partir et tout briser. Pour revenir et tout chambouler. Pour s'en aller et tout casser. La force qu'il avait pour tout détruire sur son passage, émietter une famille, dévorer les parents mais aussi les enfants. Pour déchirer des cœurs. J'avais jamais pensé qu'il pourrait refermer des cassures. 


Chegaste ao fim dos capítulos publicados.

⏰ Última atualização: Mar 16 ⏰

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