Chapitre 11 : La nationaliste bleue

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Emy était en retard. Elle courait dans tous les sens, priant à son adorable boule de poils caramel d'arrêter d'aboyer. Elle retourna tout son salon et mit enfin la main sur ses clefs. Elle sauta à l'extérieur, claqua la porte d'entrée et dévala les quatre étages du bâtiment. Elle manqua à plusieurs reprises de s'étaler de tout son long en se prenant les pieds dans ce maudit tapis rouge déroulé sur les marches. Elle arriva dans la rue en trombe et traversa sans prendre garde aux véhicules déboulant sur sa droite. Elle s'excusa sous l'assaut du klaxon de l'automobiliste en colère et grimpa dans sa Citroën BX dorée. Elle mit le contact tout en fermant la portière, enclencha la première et démarra dans un hurlement de moteur qui en fit crisser ses pneus. Elle zigzagua dangereusement entre les voitures pour gagner quelques précieuses secondes. Les conducteurs criaient après la jeune femme, qui n'en avait que faire. Elle augmenta le volume du poste de radio et souffla en entendant la voix de Philippe Lavil.

— Tu nous fais chier avec tes bambous ! ragea Emy en coupant le son.

Elle fit une embardée sur le boulevard principal et traversa Saint-Georges à toute allure. Elle s'arrêta devant une enseigne lumineuse rose bonbon, qui affichait fièrement sur sa devanture « Chez Maurine ». Elle se gara en double file et abandonna son véhicule au pas de course. Elle pénétra rapidement dans le café en écartant les portes tel Billy The Kid rentrant au saloon. Son regard sillonna la salle bondée de monde. L'endroit était bruyant et au grand dam d'Emy, Philippe Lavil tapait encore sur ses bambous. Elle l'aperçut soudain, accoudée au zinc. Elle était assise sur un tabouret haut, les jambes élégamment croisées. Elle portait une combinaison-pantalon noire, assortie d'une veste de tailleur rouge feu aux larges épaulettes. Madonna pouvait aller se rhabiller. Emy ne voyait qu'elle. Sa crinière rousse flamboyante parfaitement maîtrisée dans un chignon lui donnait l'allure d'une femme mondaine. Emy s'approcha d'elle puis s'accouda au bar à ses côtés. Andréa tourna la tête vers elle et la transperça du regard. Ses yeux chocolat maquillés d'un noir charbonneux ne la quittèrent plus pendant une bonne minute avant de laisser s'étirer un large sourire sur son visage.

— J'ai cru que tu ne viendrais plus, murmura-t-elle.

— Je suis toujours à l'heure, à chaque fois.

— Tu m'as manqué, souffla Andréa en essuyant une larme sur sa joue.

Un « bip » répétitif emplit l'espace sonore. Emy n'entendait plus ce que lui disait Andréa, elle ne percevait plus le bruit de la foule ni même Philipe Lavil. Prise de panique, elle secoua la tête puis observa autour d'elle. Son environnement semblait se dissiper, comme si elle allait sombrer dans un étrange coma. Le bip s'intensifia et elle sursauta. Elle fit un bond dans son lit et fini sa course sur le sol.

— Aïe ! gémit-elle. Oh merde...

Elle se hissa difficilement, accusant le coup de sa chute matinale et attrapa son réveil pour éteindre ce bip démoniaque. Emy souffla longuement, assise sur le sol à côté de son lit. Elle s'étira en grimaçant. Ce rêve était on ne peut plus curieux. Il avait été ultra réaliste et particulièrement bizarre. Surtout, elle avait rêvé d'Andréa. Elle se moqua d'elle-même en y repensant. Entre Philippe Lavil et les mégas épaulettes, son imaginaire poussait le bouchon un peu loin. Elle finit par se lever, en boitillant.

— Si avec ça je n'ai pas de bleu...

Elle avait plusieurs heures devant elle avant de rejoindre Andréa à la sortie du magasin. Elle décida de tuer le temps et surtout d'occuper son esprit par la multiplication de tâches. Elle commença par aller courir à jeun, ce qui fit une mauvaise idée à en juger par l'état de son estomac en rentrant chez elle. Elle se prépara un remontant digne de ce nom qu'elle dégusta devant une série étrangère avant d'aller prendre sa douche. Elle passa le reste de son après-midi à buller avec un classique de la littérature en grignotant des chips. L'heure venue, Emy revêtit sa combinaison en cuir, prit son casque plus un second pour Andréa ainsi que ses clefs avant de descendre jusqu'à son box. Elle se gara en sifflotant face aux portes closes de la boutique. Elle ôta son casque et observa derrière les portes vitrées en posant ses mains autour de son visage pour évincer les reflets gênants. Elle ne vit personne à l'horizon, ce qui voulait dire que l'équipe était sans doute dans les vestiaires. Emy rejoignit alors sa moto et s'installa sur le siège face aux portes. Les bras croisés, elle souriait en repensant à son rêve de la nuit précédente. Un claquement de serrure lui fit relever subitement la tête. Les vendeurs sortirent en file indienne, et projetèrent de grands yeux étonnés dans sa direction.

Elle est faite de la même matière que les rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant