V - Hadriel

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Personne ne touche aux viennoiseries, mais la cafetière, elle, ne cesse de désemplir. L'arabica nous aide à tenir, quand nos corps fatiguent et que nos esprits s'égarent. Manier le couteau à huître , le dénerveur, le couteau à lame ajouré , le désosseur, les coupe-oursin, la mandoline, tout ça requiert une concentration de chaque instant. Vous comprendrez alors que les petits bobos sont le lot quotidien d'un chef et de ses brigades mais cela ne nous met pas hors-jeu pour autant . Et ici, ce n'est pas une option. Il est hors de question qu'un service ne sois pas assuré parce qu'un tel ou un tel s'est blessé.

  Le service de la mi-journée approche et le rythme s'intensifie. Je fais le tour des cuisines pour vérifier que tout est en ordre et que le lancement se passera au mieux. Tout est bon du côté des viandes et des poissons . Des sauces et des garnitures également. Ed est déjà sur le dos des commis, qui ont ouvert les huîtres et les coques comme des pieds et qui sont bien partis pour tout recommencer, aux risques et périls de leurs mains.

– Les framboises ne nous ont pas été livrées, me rejoint Lance en essuyant ses mains sur son tablier, comme pour évacuer sa frustration. On peut rayer les macarons à la framboise du service de midi.

– Et tu ne t'en rends compte que maintenant ? lui retourné-je. Donald, c'est quoi ce bordel ?

– Peut-être que si je bossais avec des gens compétents et non avec des apprentis qui vivent sur la Lune, j'arriverais à boucler mes services ! s'emporte le chef pâtissier en dirigeant sa critique vers la jeune Adèle .

Le menton de la brune se met à trembler, elle est au bord des larmes. Mais la voir aussi dépitée ne suffit manifestement pas à mon collègue, qui s'acharne...

– Malley, si vous voulez appeler votre maman au secours, n'hésitez pas, mais allez le faire ailleurs ! Si vous êtes trop faible pour assumer votre place, quelqu'un se fera une joie de la récupérer !

-Je suis désolée, chef, hoquette-t-elle. Je...

– Vous la fermez et vous arrêtez de pleurnicher ! Sur le champ !

– Donald , suis-moi et baisse d'un ton, murmuré-je d'une voix rauque et autoritaire, suffisamment basse pour que lui seul entende.

Donald pensait que j'allais faire honneur à ma réputation de tyran en virant l'apprentie illico. Sauf que j'ai un cœur. Que Adèle Malley est là pour apprendre et pour faire des erreurs. Dieu sait si j'en ai fait, à l'époque où j'essayais de survivre dans les cuisines françaises. Puis en ce moment on est en sous effectif parce que Léa est en congé maternité.

Ma meilleure recrue a perdu les eaux en plein service du soir il y a presque trois semaines. J'ai eu le bon réflexe d'appeler les urgences et son amie avec laquelle elle a déjeuné au restaurant dernièrement a pris le relais. Depuis je n'ai plus de nouvelles d'elle. Je savais dans quoi je m'embarquais en engageant une femme enceinte du coup la brigade de Donald se retrouve en sous effectif et donc deux fois plus sollicitée. J'ai récemment engagé un nouveau commis pour les aider parce que Donald part bientôt. Il déménage à Portland avec sa femme à la fin de l'année alors je l'ai chargé de la lourde tâche de trouver son propre remplaçant. Pour l'instant Paul est en tête de liste mais Wonkette est pas mal. Je dois avouer que j'adore les faire compétir et il en ressort toujours du positif.

Je lui ai dit de prendre son temps. Elle vient d'avoir un bébé. Il faut quand même qu'elle s'en occupe. Je l'ai autorisé à au moins 1mois de repos et si jamais elle en veut plus je rallongerais.

Sauf que je viens de voir une tunique flashy passer. Je n'en suis pas sûr parce que j'étais occupé à remonter les bretelles de Donald mais il faut que je m'en assure.

The fear of loveWhere stories live. Discover now