08.

61 17 21
                                    

Séra avait insisté pour s'arrêter à un distributeur de boissons, avant de monter dans le premier de la longue série de bus destiné à les conduire Dante et elle à Miami.

Maintenant ils étaient installés côte à côte dans les sièges un peu élimés du transport, un de ces vieux modèles qui fonctionnaient encore au gaz naturel plutôt qu'à l'énergie solaire. Et la jeune fille, qui venait d'engloutir un des paquets de chips contenus dans leur sac après une fringale probablement due à son numéro dans l'appartement, n'était pas sûre de pouvoir supporter les quelques vingt-trois heures de trajet prévues dans l'ambiance bizarre qui flottait entre eux.

Car Dante était soudain devenu étrange, après qu'elle lui ait demandé de s'abaisser à son niveau pour qu'elle applique la canette froide qu'elle avait obtenue de la machine sur sa joue enflée. Canette qu'il tenait toujours contre son visage, tout en fixant le vide devant lui d'un air absent.

Ajoutant à ça le fait qu'elle-même se sentait affreusement coupable d'avoir rendu le jeune homme sans-abri, et le silence pesant avait eu vite fait de s'installer.

— J'ai vingt-quatre ans, déclara-t-elle soudain, espérant briser la glace.

La courte phrase eut pour effet de le sortir de sa contemplation, lui faisant enfin tourner le regard vers elle, et il déposa son soda plus tellement froid dans le porte boisson devant lui.

— J'en ai vingt-trois. C'est marrant, j'aurais pensé que c'était toi la plus jeune.

— Ah bon ? Moi j'ai tout de suite vu que c'était toi le bébé.

Le rire de Dante soulagea un peu Séra en même temps qu'il détendit l'atmosphère, et elle lui adressa un petit sourire en retour. Après leur mésaventure elle avait bien compris que ses poursuivants avaient déjà fait le lien entre eux, alors il était trop tard pour qu'elle puisse le repousser sans risquer d'aggraver les ennuis qu'elle lui avait créés. Ils étaient donc dans le même bateau, maintenant.

Et il y avait aussi ce souvenir qui tournait en boucle dans sa tête, de ses yeux noirs transperçant les siens quand il lui avait fait signe de fuir.

— Comment tu te sens ?

Elle allait le lui demander mais il venait de la prendre de vitesse, la stupéfiant pour la énième fois au passage.

— C'est moi qui devrait dire ça, ton oeil est en train de salement virer au violet tu sais ? Répliqua-t-elle en esquivant sciemment la question.

Mais Dante ne se laissa pas manipuler, la rejetant à son tour d'un haussement d'épaule.

— Ça passera. Tu sais, t'étais vraiment impressionnante tout à l'heure mais ce serait normal que tu te sentes mal ou, chamboulée... Et si c'était le cas, tu pourrais m'en parler.

Pinçant les lèvres, elle inspira puis soupira un grand coup avant de répondre.

— C'est gentil, mais t'y es pas du tout.

Il n'insista pas, mais elle devinait sa curiosité. Décidant qu'elle lui devait bien ça maintenant qu'il était coincé avec elle, elle baissa un peu la voix et poursuivit :

— Tout à l'heure, j'ai eu la trouille c'est vrai. Pas parce que c'était effrayant mais parce que ces gars m'ont vraiment énervée, que je savais que j'étais capable de les rosser tout les deux et surtout parce que j'ai adoré le faire, alors que je sais que j'aurais pas dû.

— Ce serait l'influence de ce truc qu'ils t'ont fait avec les- les tu sais quoi ? Demanda-t-il sur le même ton, en parlant des nano-robots colonisant son sang.

— Non... C'était juste moi. Une fille bourrée de colère refoulée à qui on a filé tout d'un coup un pouvoir énorme, et qui trouve ça jouissif de s'en servir pour péter la gueule de ceux qui l'emmerdent. C'est moche mais c'est ça que je suis, Dante.

— Hm. Peut-être bien, mais tu m'as pas laissé tomber pas vrai ? C'est qu'il doit y avoir d'autres trucs que la colère chez toi.

La peau naturellement foncée de Séra se colora un peu plus et elle détourna le regard vers la vitre de son côté, marmonnant un "Ouais peut-être bien" tout juste audible.

Le silence revint mais n'eût pas le temps de s'étirer, cette fois.

— Mon père, reprit Dante, c'était un toxico. Il a pas supporté quand ma mère nous a abandonnés pour retourner en Italie et c'est devenu une vraie loque. Je l'ai pas vu depuis au moins dix ans, j'ai passé la moitié de mon enfance dans des familles d'accueil.

— Pourquoi tu me dis ça ?

— Pour qu'on soit à égalité. Tu m'en as dit pas mal sur toi alors je trouve ça juste de t'en dire plus sur moi aussi, t'es pas d'accord ?

— .. Si, ça me va. Mais t'aurais pu commencer par ta couleur préférée.

— Cool. C'est le vert, et toi ?

° ° °

Ils avaient tout les deux commencé à s'assoupir en fin de journée, mais Dante avait eu le temps d'apprendre que Séra était en fait le diminutif de Séraphina, qu'elle aimait le orange et qu'avant que la paralysie ne progresse dans ses jambes elle pratiquait l'escalade. De son côté il lui avait parlé de Virgile, le gars qu'ils allaient justement rencontrer et avec qui il avait vécu un moment dans l'une de leurs familles. Ils avaient un peu discuté de musique, Séra s'excusant encore d'avoir démoli son téléphone, et de films aussi. Ils avaient même joué à quelques jeux pour passer le temps, et il s'était pris une vraie tôle au "qui suis-je".

Et puis ils avaient atteint Orlando. Grâce aux carte récoltées dans les points infos durant leur périple ils avaient réussi à prendre leur dernière correspondance à l'ancienne, et de nouveau, Séra s'était endormie. Le bus n'allait plus tarder à arriver à destination maintenant, pourtant Dante hésitait encore à réveiller la jeune fille appuyée sur son épaule. De son point de vue, seul le bout de son nez était visible, dépassant de sa capuche, mais il imaginait sans problème le reste de son visage.

Après tout, il l'avait vu de si près quand elle avait décidé de jeter un œil à ses blessures, qu'il doutait de pouvoir l'oublier un jour. C'était la première fois qu'elle initiait un contact entre eux sans y être poussée par un cauchemar où une nécessité absolue, et il devait s'avouer qu'il avait été agréablement troublé de sentir toute son attention sur lui.

Et quand elle s'était soudain mise à lui parler, il avait enfin réalisé ce qui s'était réellement produit, un peu plus tôt dans la matinée : il avait réussi à gagner sa confiance. Au moins un peu.

Finalement, elle émergea seule du sommeil en sentant le ralentissement du bus, interrogeant en clignant des yeux un Dante encore perdu dans ses pensées.

— On est arrivés ?

— Hein ? Ah, ouai.

Après leur descente, une séance d'étirement, un détour par l'accueil de la gare routière pour récupérer une carte de plus et quelques minutes de réflexion, il prit la tête de leur duo, indiquant à la jeune fille de le suivre tout en tournant et retournant son plan dans tout les sens. Chose qui, au bout d'un moment, poussa Séra à demander avec amusement :

— On a fait tout le trajet de la Nouvelle-Orléans à Miami sans appli ni gps, et c'est maintenant que t'es perdu ?

— Non, il faut juste que je trouve le bar.

Devant son air interloqué, Dante expliqua :

— C'est là qu'on va rejoindre notre intermédiaire... Virgile est sympa, mais c'est un vrai gros parano, et je sais pas où il habite.

Nano.Where stories live. Discover now