Chapitre 1

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« Le Seigneur Florian vous prie de l'excuser et vous fait parvenir ce présent en gage de son éternelle affection. »

Blanche remercia du bout des lèvres le jeune serviteur, le laissa quitter la pièce avant d'ouvrir le fragile papier de soie. Au cœur du paquet se nichait un collier ouvragé au bout duquel était suspendue une délicate étoile de cristal tout en entrelacs.

La première dame du Royaume joua quelques secondes avec l'objet avant que son visage ne se ferme et que le cadeau de son époux ne se fracasse en une myriade d'échardes scintillantes contre le mur opposé.

Blanche s'enfonça les ongles dans ses paumes de main jusqu'au sang : après tout ce qu'elle avait enduré, elle avait le droit d'être heureuse. Trois ans après son somptueux mariage qui avait rassemblé tout le pays, que lui restait-il de son bonheur tout neuf ? Des chimères et des illusions perdues.

Alors oui, les princesses des royaumes voisins étaient venues, au départ. Blanche conservait de doux souvenirs de ces après-midi faits de rires et de pâtisseries dégustées sous le grand chêne du jardin. Et avec le temps, tout va, tout s'en va. Peu à peu, les visites s'étaient espacées et Florian, sous couvert d'inquiétudes, ne souhaitait pas que sa belle épouse voyage seule, même à quelques dizaines de lieux du château.

Eprise de tout son être, la nouvelle souveraine s'était rangée à l'avis de l'homme qu'elle aimait. Comme elle le regrettait à présent. Peu à peu, ses « amies » avaient trouvé des excuses, ces garces. Puis, elles avaient commencé à pouponner.

À cette pensée, le visage de Blanche se crispa tandis qu'elle passait une main sur son ventre couturé de cicatrices. Sa première année de mariage avait été synonyme de joie : son prince était un amant tendre et attentionné, les occasions de partager les délices de la chair ne manquaient pas. Et un beau jour d'été, la jeune princesse avait découvert sa grossesse.

Dès lors, rien ne semblait vouloir venir ternir ce bonheur parfait. Rien, jusqu'à ce caprice : Blanche entrait dans son septième mois, mais les choses étaient difficiles. Le médecin du palais, craignant que le bébé n'arrive trop tôt, lui avait ordonné de garder le lit.

Cette injonction avait fortement contrarié Blanche, mais la vie qui grandissait en elle devait être protégée. La jeune femme fut donc reléguée dans sa somptueuse chambre, privée de presque toute visite. Après deux longues semaines d'ennui, la princesse avait quitté le lit pour se rendre aux écuries. Elle avait exigé que l'on prépare sa monture préférée. Le palefrenier, conscient de l'état de sa souveraine, s'était opposé à cette sortie. Furieuse, Blanche s'était emparée d'une cravache pour gifler l'insolent. Elle avait ensuite elle-même sellé l'équidé, faisant fi des protestations des gens d'écurie présents.

Blanche avait talonné la bête, trop heureuse de fuir sa prison dorée. Durant de longues minutes, elle avait joui de la sensation de liberté retrouvée, du vent fouettant son visage et de ses mèches échappées de son chignon trop strict. La vie lui semblait radieuse de nouveau... puis ce renard avait surgi de nulle part. L'animal s'était figé tandis que la monture, elle, se cabrait. La jeune dame eut beau y mettre toutes ses forces, elle n'était pas parvenue à conserver son assiette.

La princesse avait lourdement chuté. Ce n'était pas le craquement sinistre venu de son épaule qui l'avait inquiétée, mais bien le liquide chaud qui avait coulé le long de ses jambes. Blanche avait prié les divinités pour que de l'aide arrive vite ; s'il arrivait quoi que ce soit au bébé...

Les secours n'avaient pas tardé. Le palefrenier avait averti le prince de la sortie de son épouse. Transportée rapidement, elle avait dû affronter la colère froide de son mari.

— Vois à quelle tragédie vont nous mener ton égoïsme et ton inconséquence, lui avait-il asséné.

La jeune femme n'avait pu retenir ses larmes. Pourtant, elle ne lui en voulait pas le moins du monde : sans doute ces mots durs lui avaient-ils été dictés par la tristesse ? Arrivée au château, Blanche avait été prise en charge par le médecin de la cour. Les heures qui avaient suivi avaient plongé le palais dans une torpeur faite d'angoisse et de peur. De partout montaient des prières pour l'enfant et sa mère. À la première heure après minuit, l'homme de sciences avait sauvé la souveraine, mais pas le petit prince.

Le voile du deuil s'était abattu sur le Royaume. On disait Blanche et son époux inconsolables. La vérité était bien plus rude : dans le secret de leurs appartements privés, le couple se déchirait. Florian accablait sa femme qui n'avait aucun argument à lui opposer. Dès lors, elle se mura dans sa tristesse, passant le plus clair de son temps sur la tombe de son fils mort-né.

Bien sûr, ils étaient jeunes, d'autres enfants viendraient. Quand, à la fin des audiences, on lui souhaitait une prochaine grossesse, Blanche répondait par un sourire poli. Depuis l'accident, le médecin royal les avait enjoints à la prudence ; mais comment concevoir une descendance lorsque votre amant déserte votre couche ?

Quand la dame fut de nouveau en pleine santé, son époux était revenu auprès d'elle pour assurer le devoir conjugal. Blanche l'avait repoussé, terrorisée à l'idée d'avoir mal. Puis, pour la pérennité de la couronne, elle s'était forcée, sans enthousiasme. Après un an de tentatives, aucun héritier ne semblait vouloir venir se nicher dans le ventre de Blanche. Dès lors, son mari était devenu de plus en plus distant.

Au départ, la princesse avait songé que son cher Florian ne supportait plus la vue des odieuses cicatrices qui constellaient sa peau délicate. Pour essayer de sauver l'enfant, l'homme de sciences l'avait opérée en urgence et ouverte, comme il l'eut fait avec un animal. Tout ça pour rien : le petit garçon dormait aujourd'hui dans la terre meuble du jardin, et son corps de femme portait à jamais les marques de son inconséquence.

Blanche s'obligeait à devenir sourde aux rumeurs disant que son époux noyait sa peine dans le lit des servantes du château ou pire auprès des filles de mauvaise vie du bourg voisin.

Oui, elle avait cherché des traces de ses forfaits, sans succès jusqu'alors. Pour le peuple, les souverains étaient plus unis que jamais, présidant main dans la main l'avenir du Royaume. Blanche avait appris à composer avec sa solitude que les multiples présents de Florian ne parvenaient pas à combler. Au fil des semaines, la compréhension se mua en colère puis en rancœur. Les journées de Blanche s'étiraient en longueur, d'infinis moments d'ennui tissés d'amertume.

On le sait, solitude et tristesse ne font jamais bon ménage, en particulier quand le désir de vengeance fait son nid dans le cœur et dans l'âme.

***


Rouge SangWhere stories live. Discover now