Chapitre 6

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Dès lors, Blanche occupa chaque seconde de son temps libre à essayer de pratiquer la magie. À l'aube comme au crépuscule, elle s'attela à de méthodiques exercices de concentration. La sorcière expliquait en détail que seule la capacité à tout oublier, à faire le vide en soi permettait d'accéder à ce pouvoir qui courrait dans ses veines.

Les longues heures où rien ne se produisait la frustraient plus que de raison, mais la souveraine se refusait à renoncer. Imaginer un avenir dans lequel Florian continuerait à bafouer son honneur suffisait à alimenter le feu de sa motivation.

Ce matin-là, Blanche était assise en tailleur sur un tapis. Elle s'obligeait à lutter contre la fatigue : depuis la première lueur du jour, elle s'astreignait à la méditation afin de parvenir à lancer son premier sort. Mais rien ne se produisait. Désespérée, la souveraine s'appuya contre l'imposant montant de bois qui encadrait son lit. Le pentagramme ne pouvait mentir : la magie était là, il n'y avait aucune raison qu'elle ne réussisse pas.

Son agacement atteignit son comble quand on frappa à la porte.

— Quoi ? grogna-t-elle.

— Majesté, un coursier fait savoir que le prince Florian est en chemin. Il désire vous trouver fraîche et dispose pour son arrivée au château.

Blanche roula des yeux : n'était-elle rien de plus qu'un meuble qu'il déplaçait à convenance ?

— Dites à mon époux que je suis indisposée. Je le rejoindrai quand bon me semblera.

— Ce n'est pas un souhait, ma Dame, c'est un ordre.

La jeune femme serra les poings, se retint à grand-peine de gifler le domestique qui se tenait-là : le pauvre bougre n'était que le porteur du message. Le faire battre en place publique ne servirait à rien d'autre qu'à apaiser ses nerfs.

— Fort bien, faites savoir à Monseigneur que je ferai comme il l'exige.

L'homme effectua moult courbettes avant de détaler comme un lapin qui aurait perçu le bruit de la meute. Blanche, elle, écumait de rage : non, elle ne pouvait échouer. Seule de nouveau, la princesse retourna s'asseoir sur son tapis, se força au calme.

Fermant les yeux, elle inspira profondément, décidant d'utiliser sa colère au service de sa quête personnelle. Florian paierait pour ce nouvel affront, il ramperait devant elle et sa puissance, la supplierait de la pardonner... et soudain, ce fut une évidence : à sa fureur un écho répondit, comme si elle avait fait vibrer la corde d'une harpe.

Blanche ne put contenir des larmes de joie : son pouvoir était réel, il lui fallait maintenant apprendre à le dompter. Alors que le soleil parvenait à son zénith, la souveraine était exténuée, mais comblée : certes, elle était une instrumentiste dont les premiers accords étaient dissonants mais, elle parvenait néanmoins à commencer à jouer de son instrument.

À chaque fois qu'elle réussissait à agiter sa magie, une flammèche sauvage apparaissait dans la pièce, à tel point qu'elle fut obligée de briser un carreau pour justifier les brûlures sur les rideaux et sa courtepointe : le vent soufflait fort, il expliquerait que des cendres se soient envolées et aient causé ce début de carnage. Cette excuse lui semblait plus plausible que la vérité, à savoir une tentative de maîtriser un sort de feu.

Elle avait bien trouvé, dans le grimoire, des symboles qui, d'après la sorcière, permettaient de manipuler les éléments pour les associer à son pouvoir. Mais si cette langue faite de lignes de points était évidente pour Nibelhiné, il n'en était rien pour une fille de roi.

Blanche rageait : toute perte de temps jouait sur son humeur et lui donnait envie d'étriper ces dindes de servantes qui babillaient sans fin. Ces idiotes sans cervelle étaient toujours convaincues qu'elle portait en son sein le fruit de ses amours avec Florian.

De ce fait, elles lui passaient tous ces caprices comme on l'eut fait avec une enfant. Il aurait été stupide de ne pas en profiter. Il lui fallait retourner dans l'antre de Nibelhiné.

Aussi prétexta-t-elle une grande fatigue et un certain écœurement.

— J'ai fort besoin de demeurer seule tout le reste de la journée. Si mon cher époux arrive, dites-lui que je me remets et que je paraîtrai quand je serai au mieux.

— Êtes-vous sûre, Majesté ? s'inquiéta l'une des chambrières. Si vous veniez à défaillir...

— Je saurai me ménager, assura la jeune femme en plaçant une main sur son ventre.

Les domestiques quittèrent les lieux en gazouillant. Quand la dernière eut disparue, Blanche soupira d'agacement : ces stupides bonnes femmes allaient répandre la rumeur. Si, en soi, cela ne la dérangeait pas, elle était en revanche convaincue que si le bruit parvenait aux oreilles de son mari, son mensonge ne tiendrait pas.

Remettant à plus tard ces considérations stériles, Blanche enfila prestement ses braies d'homme et noua en un chignon rapide ses longs cheveux d'ébène. Couverte d'une cape en laine épaisse, elle s'assura que nul n'était en vue pour retourner à l'entrée du passage secret.

Une fois ce dernier ouvert, Blanche tâcha de maîtriser sa peur et de faire confiance à ses dons naissants pour gagner du temps. Visualisant la corde fine qui symbolisait la colonne de son pouvoir, elle tira dessus en fixant une des torchères sculptées dans la roche. Elle l'imagina s'embraser sur son ordre. Sa joie fut totale quand, au bout d'un souffle, une lueur tremblotante apparut à intervalle régulier tout au long du chemin.

Rassérénée par ce petit succès, la dame accéléra le pas pour gagner la vaste caverne qui avait donc été la dernière demeure de Nibelhiné. Ses connaissances nouvelles lui firent observer le lieu avec un œil neuf. La vieille table et les étagères étaient sans aucun doute l'endroit où la sorcière confectionnait ses poisons. Dans certaines alcôves, qui semblaient usées plus que de raison, Blanche se figura que Nibelhiné devait y tester ses sorts.

Quand elle s'approcha de l'une d'elles, elle eut la sensation fugace d'y sentir la chaleur, tandis que la suivante lui paraissait humide. La jeune femme sourit : c'est là qu'elle s'exercerait. La princesse décida de mettre en action sa bonne résolution immédiatement.

Tout en sifflant un air joyeux, elle dépoussiéra du bout de sa cape une planche sur des tréteaux. Puis, elle sortit le journal de la sorcière qu'elle y déposa. Puis, elle entreprit de chercher des indices qui l'aideraient à décoder les mots de pouvoir contenus dans le grimoire.

Pendant ce qui lui parut être des siècles, Blanche déplaça bocaux et décorations en bois vermoulues, sans rien découvrir. L'épuisement la guettait, tout comme la colère embrasait son âme : quelle divinité se jouait d'elle pour qu'à chaque fois qu'elle franchisse une étape ne surgisse une nouvelle difficulté ?

Harassée, la princesse prit le risque de s'asseoir sur ce qui avait du être un cadre de lit. Elle en était certaine, l'aide dont elle avait besoin se trouvait là, quelque part.

— Nibelhiné, aide-moi, murmura la dame.

Comme en réponse à sa prière muette, un souffle d'air froid traversa la caverne pour aller agiter un reste de lichen sur la paroi la plus proche. Intriguée, Blanche alla arracher le végétal, eut un hoquet de surprise quand elle découvrit derrière un symbole gravé dans la pierre.

La princesse, dévorée par la curiosité, passa ses doigts sur le filigrane délicat. Après leur passage, le dessin brilla plus fortement avant de disparaître au profit d'une cache creusée à même la roche. À l'intérieur, la jeune femme trouva des parchemins et un carnet de petite taille. Elle s'assit sur la terre meuble, tourna les pages vieillies par le temps.

Au bout de quelques minutes, des larmes perlèrent au coin de ses yeux : ce calepin était le codex qui lui manquait pour traduire les incantations du grimoire.


Rouge SangWhere stories live. Discover now