Chapitre 2

14 5 0
                                    

C'était donc par une après-midi pluvieuse et teintée de morosité que Blanche avait découvert ce passage secret dans le château.

Elle s'était levée seule, de nouveau. Une servante lui avait expliqué que le prince Florian était parti chasser à l'aube.

— Monseigneur assure qu'il sera de retour pour le déjeuner.

La jeune dame n'y croyait plus pour la simple et bonne raison que toutes les tenues de maraude de son époux étaient propres et rangées dans son armoire. Il mentait de façon éhontée avec la complicité du personnel du palais. Blanche tordit sur ses genoux sa précieuse cuiller en argent. Si seulement elle pouvait faire la même chose à tous ces hypocrites, Florian en tête de liste.

Blanche quitta la table sans même avoir touché à son petit-déjeuner. Elle remonta de nombreux couloirs, indifférente au monde extérieur, uniquement soucieuse que l'on ne voie pas ses larmes. Assez ! Assez du mépris de sa personne. Un désir malsain l'envahissait de plus en plus souvent : celui de se venger. Au départ, la douce Blanche avait été horrifiée par les idées noires qui lui venaient à l'esprit. Elle était bienveillance et charité, elle ne pouvait pas nourrir de tels dessins. Après des semaines d'ignorance, ces idées sombres soulageaient son cœur meurtri.

C'est alors que Blanche l'avait remarquée, cette pierre étrange sur laquelle des écritures étaient gravées. La souveraine s'approcha, laissa ses doigts caresser sa rugosité. Le reste de la surface était recouvert d'un enduit clair ; cette brique se distinguait par la différence de son aspect.

La princesse suivit le contour des lettres à demi-effacées, sentit une faiblesse. Elle appuya plus fort et cette dernière s'enfonça. À sa grande surprise, un pan de mur voisin s'ouvrit avec un grincement sinistre. Blanche retint de justesse un cri. Quand se calmèrent les battements de son cœur, elle tourna la tête à gauche et à droite, étonnée que personne n'ait rien entendu. Le souffle court, elle s'approcha de l'ouverture béante.

La trouée donnait sur un large goulet suintant d'humidité. Des relents putrides montaient des profondeurs. Blanche se pencha un peu : elle devina un escalier vermoulu qui semblait descendre jusqu'à l'Outremonde, l'antre où siégeaient les démons. Une curiosité, telle un faim dévorante, s'empara d'elle : où cela pouvait-il mener ? La princesse avança d'un pas, décidée à en découvrir plus. Puis, l'appréhension la fît s'arrêter : après tout, une dame bien née ne partait pas ainsi baguenauder.

Mais elle réalisa bien vite que ce qui courait dans ses veines n'était en rien de la peur, mais de l'excitation : la mise au jour de ce passage secret était l'aventure la plus fabuleuse qui s'offrait à elle depuis longtemps. L'espace d'un court instant, Blanche envisagea de foncer tête baissée avant de se raviser : aucune torche n'éclairait la descente, et s'il advenait qu'elle se rompe le cou, rien ne lui prouvait que son cher et tendre époux ne serait pas ravi de son veuvage.

Aussi, la souveraine rebroussa-t-elle chemin pour le moment. En tâtonnant, la jeune dame découvrit une brique semblable à celle du mur. L'information était capitale : le système fonctionnait dans les deux sens. Blanche attendit avec appréhension que le passage se referme, prit le temps de regarder où se situait sa trouvaille. Les parois étaient crème et en partie dissimulées par de larges tentures représentant des scènes de chasse.

Il s'agissait donc de la partie ancienne de l'aile nord du palais, celle où avait vécu les grands-parents de Florian. Ce dernier la jugeait trop froide en hiver et en avait fait le lieu d'accueil des voyageurs en transit à travers le royaume. Comme on ne faisait que rarement le ménage ici, et à contrecœur, la princesse effilocha la tapisserie la plus proche et rebroussa chemin. Il lui fallait en savoir plus sur cet étrange lieu.

***

Les jours qui suivirent parurent beaucoup moins mornes à Blanche. La souveraine mettait à profit chacune des absences de son mari ; mieux, elle se réjouissait de le savoir parti tôt et souhaitait qu'il rentre le plus tard possible.

Des écuries, elle avait récupéré des habits élimés qu'elle avait fait nettoyer et qu'elle reprisait dans sa chambre. Ses doigts filaient sur les morceaux de tissu. Elle qui n'avait plus cousu depuis des lunes retrouvait le plaisir de siffler en travaillant.

Certes, elle avait craint que ses servantes ne se questionnent sur ce soudain changement d'humeur, mais en tendant l'oreille aux babillages de sa suite, elle constata qu'elle n'aurait aucun effort de dissimulation à faire : n'était-il pas évident que la souveraine réalisait des poupées de chiffon pour l'enfant à venir ?

Blanche laissa donc planer la rumeur ; celle-ci justifiait aussi bien son entrain que ses caprices ! Elle avait ainsi obtenu un peu de poix et de petit bois de chauffage bien que les températures soient de plus en plus clémentes. Nul ne soupçonnait que la princesse préparait une étrange liste de naissance. Seul Florian s'étonna de la jovialité retrouvée de son épouse. À raison, lui ne croyait pas à un heureux événement.

— Je ne vois pas comment cela pourrait être possible, avait-il raillé ce soir-là, lors de l'un des rares dîners pris avec sa femme.

Il lui avait ensuite jeté un regard lourd de sous-entendus qui donna à Blanche l'envie de lui planter dans la main son élégante fourchette en argent.

— Mon tendre époux douterait-il de ma fidélité ?

Florian retint de justesse un sarcasme, comme si elle abordait un sujet sensible. Le prince ne resta pas à demeure pour la nuit. Une troupe de soldats vint, bien à propos, solliciter son aide pour réprimer des troubles dans un bourg voisin. Blanche n'y crut pas une seule seconde. Si, quelques semaines auparavant, cette nouvelle absence l'aurait consternée, ce soir, elle n'en avait cure. Bien au contraire, la solitude convenait à son projet.

***

La lune était haute dans le ciel quand Blanche, dissimulée par une longue houppelande, commença à arpenter les couloirs du palais. La jeune femme se faufila parmi les ombres, à présent bien plus à l'aise avec son pantalon, ce vêtement d'homme qui lui était totalement étranger et, qu'au demeurant, elle trouvait fort pratique.

Elle mit peu de temps à retrouver le passage secret : en quelques jours, le chemin lui était devenu familier. Ce soir, elle aurait pu faire le trajet les yeux fermés. Une fois face au mur, Blanche hésita pourtant. La souveraine avait l'intuition qu'elle allait franchir un point de non-retour.

La main, délicate, demeura un instant suspendue dans le vide... et la vie qu'elle menait aujourd'hui la rattrapa. Non ! Elle ne méritait pas ce qui lui arrivait. La jeune dame appuya sur la brique et l'ouverture se révéla à elle.

***


Rouge SangWhere stories live. Discover now