Chapitre 4

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— Majesté, il est plus que temps de vous lever.

Blanche grogna avant de se retourner et de se cacher sous sa courtepointe. La lumière trop vive menaçait de lui déclencher un sévère mal de tête. La jeune femme se sentait encore épuisée par son escapade.

Bien que dévorée par le sommeil, elle avait tout de même jeté un œil au vieux livre qu'elle avait remonté de la caverne. Les pages, tout comme l'écriture, avaient souffert du manque de soin, mais il apparut assez vite à la princesse qu'elle avait mis la main sur un ancien grimoire.

Il s'agissait du journal de Nibelhiné, sorcière des Arcanes de la Nuit. La femme dévoilait sans fard sa passion pour la magie noire et les arts interdits. Elle se délectait des âmes en perdition et des pucelles en quête du grand amour. Son commerce était florissant jusqu'à ce qu'un paysan ne la dénonce au monarque local.

Pourchassée, Nibelhiné s'était réfugiée au fin fond d'une grotte où elle avait perfectionné sorts et onguents. De là, elle avait avec patience orchestré sa vengeance. L'enchanteresse dépeignait sans filtre comment elle avait empoisonné les gens du commun qui, à ses yeux, ne représentaient rien, mais aussi le désespoir des mères dont elle avait arraché le cœur de leurs nourrissons pour produire ses charmes les plus puissants.

De sa cachette, elle avait semé la mort pendant plusieurs décennies jusqu'à ce que son heure vienne à un âge qui parut irréel à la souveraine.

Bien que la vie de la sorcière se révéla passionnante sur bien des aspects, ce qui fascina le plus la jeune femme, ce fut le nombre conséquent de recettes magiques que Nibelhiné avait écrites à la fin de l'ouvrage. Ces pages particulières du journal étaient-elles ensorcelées ? Blanche n'était pas capable de répondre à cette question. Toutefois, celles-ci demeuraient dans un état de conservation exceptionnel.

De surcroît, Nibelhiné avait une écriture délicate, qui contrastait avec le monstre qu'elle était, mais qui avait l'avantage de la rendre lisible... Dévorée par la curiosité, la princesse s'était mise à fomenter un projet fou : celui d'essayer de recréer les potions et autres sortilèges qui attendaient là, sous ses yeux.

Les quelques lignes qu'elle avait déchiffrées lui avaient révélé un ensemble complexe au-delà de sa compréhension à cette heure avancée. Elle avait fini par sombrer dans un sommeil encombré de magie et de créatures tapies dans les ombres.

— Ma Dame, les gens du commun patientent en salle d'audience depuis des heures. Il serait bon que vous alliez écouter leurs doléances.

Blanche souffla, excédée. Son temps, elle souhaitait le donner à sa trouvaille, et non pas à ces paysans dont les problèmes de vêlage et de vols de semailles la plongeaient dans une profonde indifférence.

— Renvoyez-les, je ne suis pas disposée à les recevoir.

— Mais enfin, Majesté, c'est inconvenant !

C'en était trop : furieuse, Blanche rejeta l'épais édredon, se leva pour toiser la chambrière qui, instinctivement, recula d'un pas. Elle était la maîtresse de ces lieux, aucun domestique n'avait le droit de faire de remarque sur son comportement.

— À qui t'adresses-tu ! siffla la souveraine, glaciale.

— Princesse, mes excuses. Je ne voulais pas...

— À qui t'adresses-tu ?

La panique commença à gagner le groupe de femmes attaché au service de Blanche. Elles s'étaient habituées à ses sautes d'humeur, mais cet accès de colère froide les prit de court.

— Toutes nos excuses, Majesté, balbutia une des filles en exécutant une longue révérence. Nous ne pensions pas à mal.

— Pour cela, il faudrait apprendre à penser tout court, idiote.

La domestique ne broncha pas, mais ses camarades virent ses yeux briller un peu plus.

— A présent, sortez d'ici !

Les servantes obéirent sans plus poser de questions. Une fois seule, Blanche s'assit en tailleur au milieu de ses oreillers.

Avec agacement, elle rejeta en arrière sa longue chevelure ébène. Elle ouvrit avec soin le vieux grimoire pour aller aux dernières pages, là où se trouvaient les sorts, les onguents et les potions inventées par la sorcière. Comme une enfant devant une boîte de sucreries, elle réalisa que tout lui faisait envie. Mais comment faire lorsque l'on n'a jamais pratiqué ?

Un peu dépitée, Blanche tourna les feuillets, finit par découvrir ce qui ressemblait à un chapitre sans titre. Les premières lignes firent accélérer les battements de son cœur.

— « Quand j'étais jeune fille, je rêvais d'être une érudite. Alors, je suis allée apprendre auprès de différents maîtres. Tous sont unanimes : nous pouvons tous manipuler la Magie. Mais cela demande beaucoup d'efforts, de pratique, de discipline et de sacrifices.

Il faut tout d'abord avoir qu'Elle est présente en toute chose, du caillou sous la chaussure à l'enfant qui crie dans son berceau. Pour qui sait, les sources de pouvoir sont inépuisables. Plus la vie est forte, plus la quantité de magie disponible est importante. De ce fait, c'est s'en emparer qui requiert plus ou moins de technique. »

La princesse se recula : elle avait soudain l'impression que, sous ses doigts, le papier lui brûlait la peau. La Magie était là, autour d'elle, prête à être exploitée. Lui manquait la méthode. Blanche replongea dans sa lecture.

— « Il faut toutefois savoir que le travail ne fait pas tout, nous ne possédons pas tous les mêmes dispositions. Certaines personnes ont le don, d'autres parviendront à peu. Seul Celui qui Est et qui préside en toute chose connaît la vérité. »

Blanche gonfla ses joues comme l'aurait fait une enfant capricieuse : à quoi cela lui servait-il ? Il fallait qu'elle sache si oui ou non, elle avait enfoui en elle ce talent qui lui permettrait de s'approprier le pouvoir d'une sorcière.

Agacée, la jeune femme parcourut des lignes de verbiage qui lui parurent sans importance jusqu'à ce qu'elle parvienne à un passage qui lui fit reprendre espoir.

— « Ici, je consigne le sort qui permettra à tout un chacun de découvrir s'il détient le Don du Divin. Trace au sol un pentagramme, entaille-toi la peau, car seul le sang révèle. Puis prononce les mots suivants. »


Rouge SangWhere stories live. Discover now