UN ÉCHELON PLUS HAUT

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Il souffle sur mon cœur pour apaiser mes ardeurs, pendant je m'appuie sur ses cicatrices pour réaliser mes rêves.

*****

_ Est ce que tu connais un peu l'univers du sport automobile ?

_ Oui.

La réponse de Giovanni fuse sans hésitation, comme à son accoutumée. Je songe à insister, à lui demander s'il avait été passionné par ce sport dans sa jeunesse, mais ses mots me coupent dans mon élan, me forçant à ravaler les miens avant même d'oser les articuler.

_ Ne m'en demande pas davantage, tu ne me croirais pas, et je n'ai pas envie d'y penser davantage.

Cette nuit-là, je l'ai aidé à regagner son lit. Il peinait à se relever de la table, à se tenir sur ses deux pieds. Depuis une semaine, il n'a pas mis un pied dans le garage, affaibli plus que d'habitude. Je n'ose plus insister, lui recommander de prendre soin de lui ; il me rabrouerait et nous retomberions au point de départ. Il m'échappe des mains et je me sens impuissant.

_ Et toi, tu ne me demandes pas pourquoi je veux assister à une course ? Lui demandai-je en tentant une nouvelle fois d'engager la conversation tout en ajustant son oreiller rêche par l'usage.

_ Tu m'as déjà dit que ça venait de la mort de ton père.

Sa réponse était sèche, presque amère, imbuvable. Il se retourna dans son lit, prenant la position inverse de celle où je m'étais assis, marquant ainsi la fin de la discussion par un silence indiscutable. Je soupirai, sentant le poids de la distance qu'il s'efforçait d'instaurer entre nous peser sur mon cœur.

Ces mots non dits, ces silences qui s'étiraient, semblaient être sa façon maladroite de me protéger, de m'épargner la douleur à venir. Mais il se trompe. Repousser la réalité ne ferait que prolonger la douleur de sa disparition. Peut-être pensait-il qu'en restant éloigné de moi maintenant, je ne ressentirais pas son absence plus tard. Mais non, il se trompe.

*

Que ce soit avec mon vrai père ou Giovanni, je vivais modestement, pour ne pas dire pauvrement. Avec Giovanni, je vis mille fois mieux qu'avec mon père. On a deux repas par jour, ce qui est un luxe assez suffisant par apport à ce que j'ai connu avant.

Je vis au milieu de gens modestes qui n'en avaient pas beaucoup et qui se contentaient de peu. Nous gagnions assez d'argent, une somme considérable, et ne dépensions rarement plus d'un quart. L'argent s'accumulait dans le petit coffre de Giovanni, de mois en mois, d'année en année.

Je ne m'achetais même plus des habits, puisque je piochais dans les vieux vêtements de Giovanni. Maintenant que j'y pense, si je me regarde dans un miroir, on m'aurait donné quarante ans au lieu de seize ans. La jeunesse n'est pas passée par moi.

Si on vis en fonction de nos revenus, ne vivront dans les plus beaux quartiers de Ferrare, nous serions des gens aisés financièrement, sans aucun doute. Je travaille beaucoup sans relâche en y repensant, je ne comprends pas comment je peux endurer autant, moi qui a grandit frêle et faible.

Alors c'est sans difficulté que j'ai accroché pour la première fois la plaque "Nous sommes fermés" sur la porte du garage. Avec une main inexpérimentée qui n'écrivait pas beaucoup, juste assez pour consigner les chiffres et remplir les papiers nécessaires que demande le métier. J'ai également ajouté "pour une durée indéterminée" en cas d'imprévus.

J'ai pris la main fragile de Giovanni, un sac à dos, et j'ai pioché une de ses chemises qui avait l'air d'être la plus neuve, et on s'est mis en route.

Une Toile d'AsphalteWhere stories live. Discover now