LE DIABLE QUI M'ATTIRE II

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Je suis là, figé devant la porte, me remémorant chaque mot qu'Alizée a pu prononcer avec sa voix enjôleuse. Je lutte contre moi-même pour réprimer tout sourire, toute manifestation de joie qui trahirait l'emprise qu'elle a sur moi. Mais les émotions m'envahissent, déferlent en moi avec la force irrésistible d'un raz-de-marée.

Si j'avais eu le courage de me regarder dans un miroir à cet instant, j'aurais sûrement vu mes lèvres s'étirer involontairement en un sourire tremblant. Un sourire de damné, d'amant obsédé.

Je ne sais plus quoi faire de moi. J'aime cette femme au point d'en perdre la raison. Et pire encore, j'aime ses extravagances.

Je me suis arrêté plus de dix minutes devant le miroir de l'ascenseur à peaufiner chaque détail de mon apparence. Les boucles de mes cheveux ont été minutieusement dessinées, un sourire étrange gravé sur mes lèvres, essayant désespérément de s'intégrer à mes traits austères. Sourire n'est pas une activité que je pratique souvent, ça ne va pas avec mon caractère renfrogné. Mais la société exige ce masque, alors je m'y plie, malgré moi.

En me rendant chez Alizée, je ne savais pas à quoi m'attendre. Enfin si, une chambre d'hôtel luxueuse et elle, seulement elle, nue comme au premier jour... Mais quand j'ai atteint l'hôtel où elle résidait, on m'a directement conduit au grand salon qu'elle occupait. Je savais qu'Osaux résidait dans le même hôtel, mais j'étais loin d'imaginer qu'il serait là.

Lorsqu'on m'introduisit à l'intérieur de ce salon enfumé, empli de rires gras et de musique langoureuse, mon regard s'est porté sur elle. Affalée sur un canapé de velours pourpre, baignée par la lumière crue des lampes, une Aphrodite pécheresse posait pour un artiste. Les cuisses nues, les bras nus, la gorge nue, tout son corps offert au regard concupiscent. Sereine et joyeuse dans sa nudité provocante.

En face d'elle, un homme la croquait sur une toile déjà bien entamée.

Erios Osaux.

Mon sang ne fit qu'un tour en reconnaissant ce visage arrogant, ces traits durs que je vouais aux gémonies. Alizée lui souriait avec la même douceur trompeuse qu'elle m'accordait parfois. Une vague de jalousie, de rage même, monta en moi.

Je suis resté planté à l'entrée du salon, les poings serrés à m'en blanchir les phalanges. Mes mains tremblaient d'une impatience mêlée de fureur tandis que j'extirpais une cigarette de ma poche intérieure. Je l'allumai avec des gestes saccadés, tentant de calmer mes nerfs à vif. Je tirais une bouffée, puis une autre, mais l'effroi était toujours là, semblable à un poids de plomb dans ma poitrine.

Je me suis précipité vers les toilettes, espérant échapper à cette atmosphère étouffante. Mais à peine avais-je refermé la porte derrière moi que j'entendis son rire cristallin résonner dans ma tête comme une sinistre rengaine. J'écrasai rageusement ma cigarette sur le rebord du lavabo, m'accrochant à la céramique froide, fermant les yeux dans un dernier espoir de trouver un répit.

Devant moi, un corps étranger mais familier se dessinait, chaque ligne, chaque courbe se mouvant dans ma mémoire avec une précision cruelle. Je voyais ses épaules frêles mais robustes, sa gorge délicate, ses hanches graciles, toute sa nudité exposée. Et soudain, une vision d'horreur s'imposa... Je me voyais avec un couteau, déchirant sa chair, ensanglantant ses membres, ressentant sa douleur...

Quand j'ai rouvert les yeux, ma colère s'était évaporée, laissant place à une terreur glaciale. Des tremblements violents secouaient mon corps. Pour la première fois, j'avais peur de moi-même, de ces pulsions destructrices qui m'habitaient.

L'idée de consulter un professionnel de la santé mentale me frôla l'esprit, mais la crainte des conséquences, de l'étiquette de la folie, de la prison peut-être, me retint. Alors il ne me restait plus qu'à enfouir ces pensées morbides, à ne plus jamais fermer les yeux de peur de les voir ressurgir...

Mes mains tremblantes se cramponnèrent au rebord froid tandis que je relevais la tête, croisant enfin mon propre reflet dans la glace ternie.

Un visage aux traits durs et anguleux m'accueillit, marqué par des cernes violacées qui témoignaient de mes nuits agitées. Deux yeux d'un noir de jais, profonds comme des puits sans fond, me dévisageaient avec une intensité dérangeante. Un nez droit aux arêtes saillantes, une mâchoire carrée et volontaire... Rien de bien avenant dans ces traits sévères qui auraient pu être taillés à la serpe.

Pourtant, quelque chose d'inattendu adoucissait cette apparence rébarbative. Une chevelure épaisse et bouclée, d'une teinte châtain mordorée, encadrait mon visage avec une certaine insolence. Des mèches folles retombaient sur mon front bas, me conférant un air presque juvénile qui jurait avec la dureté de mes traits.

Je passai une main lasse sur ma peau hâlée, burinée par le soleil cuisant de Bahreïn où je m'étais entraîné ces derniers jours.

Quel étrange personnage je faisais, à mi-chemin entre l'adolescent fougueux et l'homme amer... Comme si deux êtres contradictoires cohabitaient en moi, un ange et un démon se livrant une lutte sans merci

Une Toile d'AsphalteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant