34. Juste un verre

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Le lendemain, c'est encore une belle journée qui démarre sous un soleil ardent sur fond de ciel bleu. C'est dans le silence que nous prenons notre petit déjeuner, encore chamboulées par notre discussion de la veille. Seul Tiago prend la parole de temps en temps.

Nous partons tous les trois en direction de la plage pour rejoindre le groupe de l'école de surf de Tiago.
Olà, meu amigo ! dit Sam à l'intention de mon garçon.
Olà, Sam !
Tiago check son point contre le sien avant d'aller s'équiper avec ses camarades. Je profite de la disponibilité de Sam pour échanger avec lui.
— Comment se passent les cours avec Tiago ?
— Très bien, il est à l'écoute, et plutôt doué pour son jeune âge, répond-il. Il a compris comment ramer pour aller au large, il positionne bien ses pieds sur la planche lors du Take-Off, c'est un bon très début.
— C'est une belle découverte pour lui, je crois vraiment qu'il adore ça.
— C'est certain. Vous verrez qu'il va progresser très rapidement. L'avantage des enfants c'est qu'ils ne réfléchissent pas et foncent.
— J'ai hâte de voir ça. Je vais rester un peu, ce matin, pour l'observer.

Je regarde mon petit garçon porter sa planche seul, s'allonger dessus dans l'eau et ramer avec ses petits bras. Sam n'est pas loin mais le laisse faire. Il y a quelques jours, Sam devait le tenir pour qu'il réussir à grimper. Je suis ébahit par la rapidité avec laquelle il progresse. La planche glisse doucement mais surement sur l'eau en direction du large, puis, il l'a fait pivoter en agitant un de ses bras pour se retrouver face à la plage. Je lui fais de grands signes, mais il est très concentré et ne me voit pas.

— Tu as de quoi être fière, me dit Sabine.
Tiago attend, le regard tourné derrière lui, en direction de la vague. Lorsqu'elle s'enroule suffisamment, il recommence à pagayer énergiquement avec ses bras et d'un geste assuré il se lève pour se laisser glisser sur l'eau.
— Regarde Sabine, regarde ! Mais c'est fou, il y arrive tout seul !

J'attrape fébrilement mon appareil photo numérique, zoom au maximum et réussis à obtenir in extrémis un cliché de mon fils debout sur sa planche avant qu'il ne soit propulsé dans l'eau.
— Je l'ai eu, waou, regarde-moi ça !

Je tends l'écran de mon appareil à Sabine sans quitter mon fils du regard.

— Il est si beau, me répond-elle simplement.
— Oh, toi, ça ne va pas, dis-je en me détournant du large et le postant face à elle.
Le visage de Sabine est fermé.

— Si, ça va bien, pourquoi dis-tu ça ?
— Tu ne parles quasiment pas depuis ce matin. Toi, tu stresses à l'idée de revoir Pédro, c'est normal.
— Tu m'as promis d'être calme, je compte sur toi, me supplie-t-elle.
— Oui, c'est promis. Mais, de toute façon, je ne compte pas vous tenir la chandelle non plus.
— Mais je ne veux pas me retrouver seule avec lui ! Tu restes avec moi, Delfine ! Il n'y a pas de rencontre amoureuse, donc pas de chandelle, juste un échange cordial, point, répond-elle précipitamment.

Je lui souris et l'attrape par la main.
— Viens te baigner avec moi, ça va te détendre, va !
Elle ne se fait pas prier, nous retirons nos robes respectives, que nous abandonnons sur notre serviette, pour rejoindre le vacarme des vagues déferlant sur le sable. Je pique une tête la première, suivie de près par mon amie.
— Elle est glacée, hurle Sabine en riant.
— ça va calmer le feu qui brûle en toi ! la taquiné-je.
— Arrête ça tout de suite, Delf !
— Allez, détends-toi un peu, lui dis-je en me laissant flotter en étoile de mer. Laisse le soleil brûler ta peau, ferme les yeux, c'est trop bon.

Je l'observe du coin de l'œil, elle m'imite et nous nous retrouvons toutes les deux bercées par le tumulte des vagues, tenues par la main, unies pour la vie.
J'entends une voix sourde, mais mes oreilles recouvertes d'eau m'empêchent d'en discerner l'origine. Je me relève.
— Bonjour Sabine, Delfine, comment allez-vous ?
— Oh, bonjour Pédro, vous ici ! je lui réponds, embarrassée en tirant Sabine par la main pour la redresser hors de l'eau.

Elle se relève et à en croire son regard, elle l'est tout autant que moi. Ses mains viennent enlacer son coup de part et d'autre, ses bras recouvrent sa poitrine. Une première rencontre formelle en bikini, ce n'est pas commun ! Pédro, lui, avec son corps de surfeur musclé, sa peau mate et ses cheveux mi-longs humides ondulant autour de son visage, semble beaucoup plus à l'aise.
— Alors, Sabine, vous vous cachez dans l'eau ? plaisante-t-il.
— Heu, non... pas du tout, je me rafraichissais un peu, répond-elle sur la défensive et clairement gênée.

Aïe. Sabine est vexée. Je ne sais plus où me mettre. Elle a beau me dire qu'il n'y a pas de rendez-vous amoureux entre eux deux, je me sens néanmoins comme un énorme chandelier. Je décide de nager en direction de la plage pour rejoindre ma serviette. Je tends néanmoins l'oreille, curieuse de les écouter. Je suis comme une enfant qui se cache derrière la porte de sa chambre entrouverte à l'écoute d'une conversation entre ses parents.

— Je vous embête, hein ! poursuit plus sérieusement Pédro sentant Sabine mal à l'aise. Je vous attendais sur la plage et je vous ai reconnues, j'ai eu envie de vous rejoindre pour vous taquiner. Vous voulez vous joindre à moi, juste pour boire un verre ?
— Oui, d'accord, accepte Sabine.

Je sors de l'eau et atteins ma serviette en quelques pas. Je décide de m'y allonger feignant ne pas avoir entendu l'invitation de Pédro. Delfine arrive prêt de moi et attrape sa serviette pour se sécher, elle s'y enroule et me chuchote.
— Pédro nous invite à boire un verre, tu viens ?
— Menteuse ! C'est toi qu'il a invité !
— Tu ne vas pas me lâcher ?! siffla-t-elle discrètement entre ses dents.
— Alors, Sabine, vous m'accompagnez ? s'impatiente Pédro.
— Je te rejoins, je prends juste le temps de sécher un peu et j'arrive, murmuré-je à mon amie lui faisant comprendre avec un clin d'œil que je ne bougerai pas immédiatement de ma serviette.

Elle me fusille du regard avant de tourner les talons et de suivre Pédro jusqu'au bar de la plage à quelques dizaines de mètres de là. Ils s'installent sur un canapé posé à même le sable sous un voile blanc ajouré, deux cocktails colorés arrivent rapidement et ils trinquent timidement avec pour décor de fond, les falaises ocre de mon cœur. Je suis émue de voir mon amie ainsi accompagnée dans cet endroit si important pour moi. J'espère qu'elle ne m'en voudra pas de l'avoir lâchement abandonnée, peut-être que l'avenir me donnera raison. Son avenir à elle, car le mien est incertain.

J'hume l'air à pleins poumons en pensant à ma vie, mon autre vie, celle que j'ai minutieusement rejetée. Mon mari m'offrait jusqu'alors son amour, la stabilité, des valeurs familiales fortes, de quel droit ai-je pu me plaindre et tout envoyer valser ? Il m'est impossible dorénavant de changer le destin que je me suis infligé. Impossible de prendre le risque de le rejeter à nouveau. Je n'ai plus confiance en moi, mon imprévisibilité me fait peur.

Je décide de ne pas la rejoindre. En les regardant au loin, je vois Sabine rire aux éclats, nos regards ne se sont pas croisés, elle ne cherche pas à ce qu'il se croisent, et j'en suis ravie. Je profite de ce moment pour fermer les yeux et profiter du soleil ardent avant que le cours de surf de Tiago ne se termine. Je finis par m'endormir paisiblement.

Je suis réveillée par la voix de mon fils.
— Tata Sabine, c'était qui le monsieur avec toi ?
Je décide de simuler que je dors encore et ne perds pas une miette de cette discussion.
— Oh, tu m'as donc vu, petit coquin !
— Bah, tu étais dans le bar juste devant, marraine ! Quand même j'ai des yeux pour voir, moi, je ne suis pas aveugle ! Tu as trouvé un amoureux ?

Je manque de m'étouffer, mais je me retiens pour ne pas bouger.
— Tu vas un peu vite, ce n'est pas mon amoureux. C'est Pédro, tu sais, le monsieur qui a changé notre pneu crevé, sur l'autoroute en Espagne, pendant le voyage.
— Ah oui, il avait une grosse Mercedes !
— Oui, c'est ça. En fait, il vient ici en vacances et il fait du surf comme toi, sur cette plage, c'est fou, hein ?
— C'est peut-être un super amoureux pour toi, alors marraine.
— Peut-être mon chéri, peut-être...

Je n'en crois pas mes oreilles. J'ai hâte d'en savoir plus sur ce que ces deux tourtereaux se sont raconté au bar pour en arriver à cette conclusion. J'ai envie de hurler de joie, mais pour ne pas gâcher la magie de l'instant, je feins de bouger et m'étirer doucement, m'extirpant de mon sommeil.
— Maman, maman, tata a trouvé un amoureux !

Sabine éclate de rire, je la rejoins à mon tour et attrape mon petit garçon pour le couvrir de bisous.
— Viens par-là que je te mange de bisous, petit coquin ! Les petits garçons curieux doivent être punis sur le champ.
Il rit comme un fou et se débat joyeusement dans mes bras.

Une heure plus tard, nous rejoignons le camping pour le déjeuner. J'ai hâte que le soleil se couche, que mon fils sombre dans les bras de morphée, pour obtenir les confidences de mon amie, autour d'une tasse de thé fumante.

Les falaises ocreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant