Chapitre 14

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" François ! Que fais-tu ici ? s'écria Edith.

- Bon sang ! Pourquoi est-ce que tout le monde pense toujours que je suis au mauvais endroit au mauvais moment ?! répondit François d'une voix blessée. "

La vieille femme soupira, rapidement désolée en constatant son état.

Elle tenta d'attraper son bras pour le relever, mais il se dégagea de son étreinte d'un coup sec, le regard plein de rancœur.

Heurtée par son geste de répulsion, elle prit davantage appui sur son bâton et se recula à contrecœur pour ne pas envahir son espace personnel, espérant apaiser sa peine.

Romane était une dame âgée, fille de la Canne-gourou Emma la Maternelle, tout comme Edith. Ne supportant pas de voir le jeune homme dans ce manteau de tristesse, elle reprit d'un ton affectueux :

"Nous pensions simplement que tu avais besoin de repos François. Viens donc t'asseoir avec nous, ne reste pas au sol.

- Depuis quand se soucie-t-on de mon état ? rétorqua-t-il.

- Depuis les premiers instants où je t'ai trouvé, et que tu es sortie intrigué de la forêt pour tirer mes nattes, répondit Nana.

- Je vois, il est vrai que tu m'as bien accompagné dans ... dans...peu importe, ce qu'il s'est passé tout à l'heure ! ironisa le rouquin en levant les yeux au ciel.

- Attention jeune homme, ne franchit pas les limites, tu n'as absolument aucune idée de ce qu'il s'est passé, dit la doyenne."

La musique des paroles de François se mettait à trembler, même dérailler tant il se laissait envahir par ses émotions. Une boule dans sa gorge venait faire pression sur ses cordes vocales et l'empêchait de communiquer calmement, les larmes montaient à nouveau.

" Le problème est là, Edith, le garçon n'a aucune idée de la situation. Si on prenait le temps de lui expliquer, je suis persuadé qu'il comprendrait et qu'il pourrait même nous être utile, proposa Stéphane, fils de Léonard l'Eléphant de la Réflexion.

- Je ne suis pas de ton avis, nous sommes loin d'avoir confirmé de quoi il s'agit précisément, répondit-elle.

- Enfin, notre piste n'est-elle pas suffisante à t'alarmer ?

- Les images ne sont pas encore claires, on pourrait foncer droit dans un mur, commençait à s'agacer Nana.

- Et prendre le risque de perdre l'un des nôtres ne te sembles pas tout aussi tragique ?"

François, toujours recroquevillé à genoux sur le tissu en laine de lama, suivait des yeux les Anciens se lancer des répliques de plus en plus sèches sans ne parvenir à comprendre l'origine exacte de leur désarroi. 

" Quoi ? Qu'est-ce que je dois savoir?" demanda t-il.

Mais on l'ignora.

Romane reprit, en essayant d'apaiser les forts caractères :

"Stéphane à raison, Edith. Nous aurions dû le mettre au courant bien avant d'en arriver là. Le pauvre garçon est transi d'angoisse.

- Au risque d'entamer une procédure que nous aurions finie par tous regretter ! Réveillez-vous, on parle ici de nos proches, notre peuple, nous ne pouvons, et ne devons pas prendre de décision hâtive en ce qui concerne ce sujet ! insista-t-elle.

- Voyons Edith, tu n'es pas impartiale.

- Il ne s'agît pas de ça, Stéphane. Je n'enverrais pas cinq personnes dehors, voilà tout. Nous avons il y a longtemps déjà perdu des frères et des sœurs, ça n'arrivera pas. Pas sous mon Conseil.

- Romane, dit moi ce qu'il se passe, je t'en pris, supplia François. 

- Sois raisonnable, voilà des mois que nous y réfléchissons, et tu sais très bien que nous avons besoin de son aide. Sans lui, nous ne saurions rien de tout cela, poursuivit le fils spirituel de Léonard.

- Ces rêves ne sont pas assez développés, je vous l'ai pourtant dit. La recherche pourrait durer des années avant qu'on ne connaisse même sa localisation. L'œuf sera adulte d'ici là, nous ne le trouverons peut-être même jamais, répondit la doyenne.

- Mais ils pourraient très bien se préciser avant le départ du groupe ! Ton comportement castrateur l'empêche d'atteindre son potentiel !

- Stéphane ! s'indignèrent les deux vieilles femmes en cœur.

- Edith ! mima le vieillard, épuisé par l'instinct maternel de ses amies.

- Silence ! Immédiatement ! "

Et ils se turent.

François avait hurlé si fort, que même les branches du saule avaient cesser de bouger.

Debout, les poings serrés de frustration, il reprit sur le même ton après quelques secondes d'absence de bruit qui semblaient avoir duré une éternité.

" Mais pourquoi faites-vous tous comme si je n'étais pas là ? Vous parlez de moi, à voix haute, sans jamais aucun scrupule, n'avez-vous donc aucune once d'empathie ? Le temps aurait-il desséché vos cœurs ? Je suis juste ici ! Ne simulez plus mon absence où je ne saurais plus où trouver refuge. Dîtes-moi ce qu'il se passe ! Laissez-moi être utile à la communauté pour une fois ! Je vous en supplie. Accordez-moi votre confiance, même si je vous semble dénué de raisonnement logique, je veux savoir. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Pourquoi mon corps tente de m'expulser de moi-même ? Et qui sont ses voix que j'entends se lamenter en hurlant au loin ? Qu'est-ce que c'est que cette douleur invivable ?"

Edith chassa l'humidité de ses yeux en portant rapidement son regard en l'air, puis après un bref instant, elle invita calmement le garçon a s'asseoir, avec une autorité douce et bienveillante.

Tout en entourant autour de son doigt l'une de ses longues tresses grises, elle commença son récit. Elle expliqua à son unique fils adoptif que les rêves flous qui le travaillaient tant depuis de nombreux cycles saisonniers étaient en réalité des visions, des visions de l'extérieur. 

Il écouta attentivement, puis se mit à lui rire au nez, amer.

" Ecoutez, je n'ai pas besoin de votre pitié. Si vous voulez me consoler en essayant de m'attribuer un pseudo-don pour soulager ma peine, vous êtes tombés bien bas pour des gens qui ont tant vécu. 

- Personne n'invente quoi que ce soit François, tu n'as pas encore découvert qui a été ton gardien, mais il est là, quelque part autour de nous à veiller sur toi, dit la doyenne.

- Bien sûr, il m'observe de loin. De très loin. Je ne sais pas quel part du mage Kimchi m'a élevé, mais ça devait sûrement être le dieu de la lâcheté. 

- François ! Quelle horreur, ne sois pas si impulsif, se fâcha Nana.

- C'est vrai quoi ! Je suis rien, je ne suis personne. Vous êtes tous extraordinaires, quand je suis juste...moi. Le garçon du troupeau. Vous savez bien ? Je reste assis dans le sable, à l'ombre d'une dune, à regarder les lamas se rouler sur le sol chaud. Tout seul. Je ne sais rien faire d'autres. Mais je suis de bonne volonté, je suis compréhensif, et surtout, je ne suis plus un enfant. Vous auriez dû trouver autre chose qu'un mensonge pour me dire que vous ne souhaitiez pas ma présence, vous non plus. "

François regardait tour à tour les Anciens s'échanger de drôles de regards. Stéphane dévoila un léger sourire satisfait en coin.

"- Quoi ? Qu'y a t-il ? lui demanda le garçon."

Le vieillard chercha l'attention d'Edith, ravie de lui prouver qu'il avait eu raison de croire en les capacités du jeune homme. Puis, quand il eut croiser l'expression choquée de son amie, il termina la discussion avec une révélation perturbante :

"Mon garçon... il n'y a ni sable, ni dunes, ni aucun désert à Contre-Jour." 



L'éveil des IlluminésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant