8. Ce qui se passa au Blue

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Assise en tailleur dans la pièce vide que j'aménage mentalement depuis bien dix minutes, je sens la pression redescendre pour de bon. Ma paume a emprisonné les clefs de mon nouvel appartement comme si elle protégeait un trésor et le soulagement me fait sangloter. Wave vient aussitôt cogner son gros front au mien et lui faire une toilette intégrale. Je me renverse en arrière et elle s'empresse de me sauter en plein sur l'estomac, tentant d'attraper mon oreille, son péché mignon depuis qu'elle est chiot. Nous partons alors dans un jeu de bagarre et la voilà qui fonce telle une fusée vers le hall, et revient en toupie.

— C'est chez nous, Wave ! m'écrié-je.

Ma chienne le ressent assurément plus que moi dans la mesure où, à part quelques vêtements et le nécessaire emmené chez Clément, je ne trimballais que ses affaires dans ma voiture. Son coin est donc déjà prêt, avec son panier, ses gamelles et ses jouets préférés. Je lui lance d'ailleurs son os et, tandis qu'elle mastique, je me rassois. Les Avions de chasse sont en route avec le camion pour m'apporter le reste de mes effets personnels. En les attendant, je passe en revue mes notifications. Arthur, dont le simple nom dans mes messages me fait sourire, est réjoui pour moi, et pour lui, de notre rapprochement géographique. Je lui partage mes états d'âme avec la même transparence depuis un mois, mais il y a un détail qu'il ignore : mon attrait grandissant pour le célibat. Et ma fameuse liste, qu'il me coûterait de ne pas approfondir.

Elle réunit les expériences irréalisées, certains rêves ou objectifs, et surtout, sur conseil de ma psychothérapeute, l'énumération de mes croyances limitantes. Précisément celles qui m'ont maintenue dans une relation dont je ne voulais plus depuis des mois, et qui ont rendu le couperet de la séparation si tranchant.

J'en relis certaines, réalisant encore une fois avec effroi à quel point Maxime m'a plongée dans une forme de dépendance et fragilisée dans ma confiance en moi.

Jamais je ne dormirai bien seule. Jamais je ne retrouverai quelqu'un, encore moins qui pourra m'aimer. Jamais je n'arriverai à être à l'aise nue devant quelqu'un d'autre.

Je tapote sur la dernière phrase, la raie. Paul l'a rendue ridicule en une soirée, au Blue. En fait... Il a effacé mes complexes et mes angoisses en deux heures.

« Cléo, j'en ai rêvé. Si tu savais comme j'en avais envie. »

J'en frémis encore, rien que d'y penser.

Une fois que j'avais goûté à ses lèvres, j'avais envie d'y retourner, d'aller plus loin. L'interdit dansait entre nous et je l'ai d'abord effleuré, dans une discrétion imposée et une tension grandissante... avant de céder à la tentation. Paul m'a allumée, au sens propre comme au figuré. Ou rallumée, peut-être ?

Maxime t'éteignait, me répète toujours Clément.

Viens avec moi dehors, m'a implorée Paul.

Un murmure au ton de supplication, qui m'a fait me sentir plus désirée que les sept dernières années réunies. Et tellement bête... je n'en revenais pas, encore moins quand il m'a dit avoir ardemment souhaité ce rapprochement dès notre rencontre.

Moi aussi, je le voulais. Et je l'ai eu. Alors qu'il n'aurait pas dû... C'est pas bien, mais je me sens invincible, puissante. Je l'ai voulu, je lui ai plu.

C'est comme si, dès lors, j'avais retrouvé ma féminité, ma confiance en moi, mon assurance... Au contact de ses caresses brûlantes, des baisers qu'il posait généreusement sur toutes les parties dévoilées de mon corps, j'ai été comme libérée de toutes mes chaînes.

— Paul, pourquoi ? Pourquoi moi ? Je n'ai rien de spécial...

— Mais bien sûr ! C'est pour ça que j'ai jeté mon dévolu sur toi et que tu m'obsèdes. Parce que tu es banale. Non, sérieux. Tu arrives toute timide, pas assurée, alors que tu n'as pas idée de ce que tu es, de ce que tu dégages, de ce que tu me fais. Tu es exceptionnellement belle, tellement attirante. Je ne fais qu'y penser depuis notre rencontre. C'est toi que je veux, Cléo. T'as pas idée comme je te veux.

Tous mes JamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant