9. Le bon

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Je me refuse les pauses dans mon rangement et augmente régulièrement le son sur la télévision, car aussitôt que le silence l'emporte, il me ravage. Je me sens comme brûlée au troisième degré, de l'intérieur, comme un village en ruines, incendié et abandonné. J'enrage dès que je me rappelle l'arrogance et la méchanceté avec lesquelles Maxime s'est adressé à moi. Ses tentatives pour me rabaisser, se tourner en héros légitime, alors que cette enflure m'a trompée et que je lui ai laissé l'appartement sans sourciller... je ne les digère pas. C'est culotté, bas, mesquin, méchant. Maxime a toujours eu le chic d'appuyer sur mes complexes, souvent à couvert d'humour, mais je ne le pensais pas autant capable de jouer sur mes insécurités financières. Ce n'est pas l'homme que je pensais connaître et même si, au vu de qui il est devenu, je m'estime heureuse de la séparation, ça ne rend pas le constat moins amer. Et dès que je ferme les yeux, que je me perds en pensée, ce sont ses messages qui me hantent.

Il n'y a pas à dire, sur les cinq étapes du deuil, entre déni, colère, marchandage, dépression et acceptation, je suis en seconde. Et ma monitrice d'auto-école m'a toujours dit qu'« en deuxième, on peut continuer longtemps ».

Je m'en réfère à Killian, mon ancrage en la matière de séparation. Il décroche à la troisième sonnerie et je vais droit au but :

- Je lui souhaite le pire, tout le malheur du monde.

Seule sa respiration me répond, dans un premier temps, avant qu'il souffle :

- Je me demandais quand enfin tu allais arrêter d'être trop gentille à son égard. Crache tout, vas-y.

- J'ai envie qu'il pleure, qu'il regrette. Qu'il se déteste, qu'il s'en veuille, que se regarder dans le miroir devienne impossible. Je veux qu'à défaut d'être unis en amour on le soit au moins dans la souffrance. Je rêve que cette peste de Julie lui fasse mal comme il m'a fait mal, qu'il comprenne ce que ça fait.

Ouh, ça soulage.

- Je le déteste, mais je me déteste davantage.

- Pour être restée ?

- Oui. Je m'en veux, pour toutes les fois où il m'a prouvé qu'il n'était pas capable et que j'ai choisi de rester. Je m'en veux de n'être pas partie quand les options s'offraient à moi. Je m'en veux d'avoir donné ma fidélité à l'homme le plus indécis et déloyal de la région. Je te jure Killian, si j'avais su... Tous ces soirs où j'ai voulu mettre un terme à cette relation, parce qu'il n'était qu'un mur à mes émotions, et que malgré mes efforts rien ne changeait... Toutes ces nuits où il n'a eu aucune difficulté à s'endormir alors que je pleurais à côté. Cette soirée de dispute où je me suis enfouie, sous cet orage diluvien, sans veste, dans le noir, plus d'une heure sans qu'il n'essaie de me contacter, tout ça pour le retrouver devant son ordi comme lorsque j'étais partie. Toutes ces fois où il s'est plaint de mes pleurs, où il a minimisé ma douleur, où il m'a dit que j'en faisais trop, que je l'épuisais, que ce n'était pas grave. Tout ce temps, je me suis trahie, moi. J'ai refusé d'écouter la voix intérieure qui me criait que ce n'était pas normal, jusqu'à croire qu'il avait raison, que j'étais « la noirceur qui le bouffe ».

J'inspire, les larmes me remontant aux yeux au souvenir cinglant de cette phrase. Elle aurait dû me convaincre de le quitter. J'aurais gagné quatre ans.

- Je l'ai toujours su, Killian. Que le jour où ça se terminerait, il partirait sans un regard en arrière, qu'il n'aurait aucun regret. Qu'il ne me laisserait qu'avec l'horrible sensation que je n'ai pas compté. Je le savais dès le début, je le savais !

Rageusement, je tape dans le carton que je venais de vider.

- Tu as essayé, murmure mon ami. Tu ne peux pas t'en vouloir pour ça. Tu as cru en lui, bien plus que lui ne pouvait le faire.

Tous mes JamaisWhere stories live. Discover now