La Guerre de l'Aube et du Crépuscule [Tome 1 : Les prémices d'une guerre]

Chapitre V : Famille brisée

« Face aux cendres. »

*

Profitant de l'accalmie, le Soleil s'était couché sur l'horizon. Il ne faisait plus jour, mais ce n'était pas la nuit non plus. Les cendres incandescentes concurrençaient le scintillement argenté de la mer encore tremblante face à au drame qui s'était joué sous ses yeux et dont elle portait encore les tristes traces. Pour les rares villageois restants, l'heure était au chagrin. Au pied des porches abimés ou à même le sol, les êtres déboussolés aux Âmes meurtries pleuraient la perte de leurs proches et de leur village sous le regard compatissant mais néanmoins impuissant des Gardiens qui parcouraient les rues, déposant de simples draps servant de linceuls sur les Askaniens tombés durant la bataille.

A genoux, Deli ne put retenir une larme lorsqu'il recouvrit un jeune elfe légèrement plus âgé que lui portant la célèbre armure de la Garde Askanienne, tachée de sang.

Le visage couvert d'un mélange de suie et de cendre, Alden réconfortait une femme assise au milieu de la rue tout en gardant un œil sur son frère qui essuyait la minuscule perle de tristesse coulant sur sa joue d'un simple revers de la main. Il craignait que celui-ci ne se faufile en dehors du hameau pour prendre la direction du Nord. D'une certaine façon Alden le comprenait. Si il avait été question de sa propre sœur, il serait sans aucun doute en train de traverser la frontière pour aller la retrouver et la libérer des griffes de ces soldats d'or.

- Vous vous êtes bien débrouillés aujourd'hui, commença Zown en arrivant, sortant Alden de ses songes. Mais ce n'était que le début. Il me faut deux volontaires pour aller demander des renforts à Numarie. On ne tiendra pas la zone sans ça.

- Je présume qu'on va se coltiner cette mission, souffla Deli en se relevant.

Toute l'énergie et la joie de vivre semblaient désespérément avoir quitté son Corps alors que leur supérieur fronçait légèrement les sourcils face au manque de respect dont il venait de faire preuve.

- Exactement. Je n'ai aucune envie d'apprendre qu'une tête brulée comme toi s'est fait tuer en territoire dalrenien parce qu'il voulait jouer au héros en sauvant son père adoré et sa petite sœur chérie.

Le regard de Deli s'embrasa à la remarque. Alden tenta de le calmer en posant une main sur sa cuirasse mais le jeune homme la rejeta aussitôt et s'avança vers son supérieur. Il s'arrêta à quelques centimètres du blond qui le fixait de ses yeux d'un bleu glacial.

- Si tu as quelque chose à dire Séria, dis-le. Autrement je te suggère de tracer ta route, lâcha Zown en le prenant de haut.

Deli le défia du regard pendant de longues secondes avant de finalement le contourner et prendre la direction de la bordure Sud du village. Alden se pressa de lui emboiter le pas tout en s'excusant silencieusement auprès de son supérieur lorsqu'il passa près de lui. Ce dernier fit signe que ce n'était rien, les traits de son visage soudainement radoucis, contrastant avec les résidus de l'incendie et des combats s'étant collés sur sa peau claire, luisante de sueur.

*****

Deli descendait la rue principale d'un pas rapide, essayant de faire abstraction des sinistrés dévastés au milieu de cendres volantes. Chaque visage familier déformé par la tristesse lui broyait le Cœur alors qu'il pensait aux membres de sa famille prisonniers du Dalren et sa mère qu'il espérait être en vie.

- Deli ! Deli, attends-moi tu veux ?

Laissant un souffle s'évanouir dans l'air asséché, il obéit néanmoins et regarda Alden arriver en trottinant. Une fois qu'il fut à sa hauteur, les deux camarades marchèrent d'un même pas jusqu'à l'entrée du village afin de retrouver la monture d'Alden. Le cheval avait trouvé le moyen de se libérer de la petite barrière à laquelle son propriétaire l'avait attaché et s'était enfuis quelques mètres plus loin pour échapper aux flammes.

À ses côtés, ils retrouvèrent également les chevaux des Gardiens arrivés juste avant le début des hostilités. Deli dut faire le tour du troupeau pour repérer le destrier du jeune soldat qu'il avait recouvert d'un drap blanc quelques minutes plus tôt. Il attrapa doucement les rênes en lui caressant l'endroit de sa tête marquée d'un triangle blanc pointant vers le sol, comme pour lui présenter ses condoléances.

- Faut y aller si on veut espérer arriver avant la prochaine vague, informa Alden d'un ton compatissant.

Deli lui fit un léger signe de la tête en montant sur la selle bleue. Tous deux firent alors partir leur monture au galop dans un cri d'encouragement, s'éloignant vers l'horizon avec pour unique guide, les fidèles et lointaines étoiles du ciel nocturne.

*****

Les bruits de pas écrasants de fines brindilles sous leur poids semblaient étrangement lointains dans l'Esprit de Melio qui peinait à se détacher de l'inconscience. Ce fut finalement de vagues braillements ressemblants à des exclamations qui le forcèrent à entrouvrir les yeux.

- Laissez-nous ! Relâchez-le ! criait une voix affolée.

La terre défilait sous son regard pendant que des tintements métalliques lui broyaient les oreilles à un rythme régulier. L'inquiétude abreuvant soudainement ses vaines, il prit conscience du gout particulier du sang dans sa bouche ainsi que de l'endolorissement de ses muscles fatigués. Malgré tout cela, Melio n'avait qu'une seule préoccupation :

- Nyha, appela-t-il dans un murmure rocailleux presque inaudible.

Malheureusement pour lui, la jeune elfe ne semblait pas avoir entendu. Bien trop occupée à protester face à la situation, elle n'hésitait pas à ordonner avec véhémence à ce qu'ont les relâchent.

- Espèce de selda* ! Si on m'avait dit que j'aurai plus de mal à te faire taire qu'à me charger de ton père... commença un homme d'une voix chantante pourtant menaçante tandis que le petit groupe s'arrêtait.

Melio se força à redresser la tête pour voir que l'elfe en question tenait Nyha d'une main ferme et son épée rangée dans le vieux fourreau bleu de l'autre. Il s'attarda sur le visage de l'homme dont il pouvait voir la tempe droite en sang. Ses yeux ambrés foudroyaient sa fille tandis que ses sourcils froncés et ses lèvres pincées traduisaient une colère intérieure faisant bouillir son sang d'elfe solaire.

- Ne la touche pas, articula finalement le marchand dans un souffle.

Ses mots à peine évanouis, tous les regards se tournèrent vers lui.

- Est-ce un ordre, gardien ? cracha l'homme au teint hâlé en venant se rapprocher de lui, tenant toujours Nyha d'une poigne de fer.

Face à la menace muette du dalrenien, Melio serra la mâchoire. Sa fille était un merveilleux moyen de pression dont les soldats d'or ne comptaient pas se priver.

- C'est bien ce que je pensais, reprit l'elfe d'un air satisfait, un sourire en coin fiché sur le visage.

- Que la marée vous emporte, marmonna Melio tandis que son ennemi allait reprendre sa route.

Celui-ci fit volte-face, poussant Nyha vers l'homme qui tenait déjà le bras droit du marchant. Une fois sa main libérée, il dégaina sa propre épée rangée à sa taille pour la placer sous le cou du quinquagénaire, ignorant les supplications de l'adolescente qui l'implorait de laisser son père en vie.

- Si tu ne veux pas avoir une deuxième cicatrice sur le visage, je te suggère de ne plus dire un seul mot, aboya-t-il en effleurant la fine marque claire traversant ses lèvres du bout de sa lame.

- Remarque, ça nous égaliserait, renchérit Melio en pointant son menton vers la tempe du darlenien.

- Que les flammes te fassent taire ! siffla celui-ci en rengainant son arme pour reprendre Nyha par le bras et se remettre en marche.

Les deux autres soldats suivirent, trainant l'ancien Gardien sur le sol irrégulier de la forêt dalrenienne afin s'éloigner au plus vite de la terre lunaire tandis que les nombreux autres guerriers s'assuraient qu'ils n'étaient pas suivis.

*

*Selda : garce en Marois.

Petit chapitre transitoire toujours aussi joyeux ^^" mais qui, je pense, apporte quelques informations à l'histoire.

N'hésitez pas à me donner votre avis et en attendant je vous dis à lundi ! :3