Chapitre XIX : Kéniré

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« Les préjugés peuvent être balayés par la réalité. »

*

Une journée et une nuit s'étaient écoulées depuis le départ de l'avant-poste. Le voyage ennuyait Agar au plus haut point alors qu'il s'était installé à l'envers sur le dos de son cheval, laissant sa tête se reposer sur son encolure grise. Bercé par les pas lourds de l'animal, Agar parvenait presque à en oublier la douleur des blessures de son Corps, profitant de la douce chaleur du Soleil levant et de l'air pur de la campagne.

Son père n'était guère bavard pour arranger l'ambiance du voyage. Il était certainement occupé à préparer le discours qu'il allait tenir à Kéniré pour ce qu'Agar présumait être une déclaration patriotique.

Et voici mon fils. Il a vaillamment combattu les askaniens pour défendre la vie d'une prisonnière, imaginait une voix moqueuse en lui.

Il savait pertinemment que sa présence n'était pas inutile. Chaque décision que son père prenait était le fruit d'une longue réflexion intérieur et d'un calcul judicieux. Tout cela pour garantir la réussite de la mission ou l'objectif qu'il s'était fixé tout en prévoyant une solution, une issue de secours en cas d'imprévu. C'était d'ailleurs grâce à ces talents de fin stratège qu'il avait atteint un tel rang, même si certains hauts gradés ne le voyaient pas d'un très bon œil à cause de son insubordination incessante.

- On arrive. Tu ferais bien de revenir t'assoir à ta place et de prendre ton médicament avant que nous ne passions les portes de la ville, commanda Fariun sans aucune compassion dans la voix.

En bon petit soldat, Agar obéit – non sans difficulté – et vint se rassoir auprès de son père qui lui tendit un petit bocal en bois. Avec hésitation, il retira le couvercle pour trouver une trentaine de petites boules blanches à l'odeur repoussante. Fariun avait demandé à Yta bien plus de médicaments que nécessaire lorsqu'ils étaient partis et Agar devait en ingurgiter une matin et soir depuis lors.

Tout en avalant difficilement la petite boule et refermant le bocal, Agar vit l'immense ville rouge projeter ses ombres sur leur petite charrette. La forme de Soleil que dessinait Kéniré fascinait Agar depuis qu'il l'avait vu au loin. Toute la ville était agencée de façon à entourer une grande forteresse cerclée d'une muraille. Sur les bordures de la cité, les quartiers se scindaient pour former plusieurs branches semblant onduler afin de représenter les rayons de l'astre de Liha.

Passant entre deux de ces rayons pour rejoindre l'arche indiquant l'entrée de la ville au bout du chemin de terre sur lequel ils roulaient, Agar restait sans voix. Les histoires d'Yta étaient vraies ! Les bâtisses voyaient leurs pierres rouges peintes de sublimes fresques représentants des personnages, des créatures imaginaires, des monstres de légendes ou des motifs inspirés de la nature. Les couleurs chaudes et chatoyantes, contrastant avec les couleurs froides, impressionnaient le jeune adulte à défaut de plaire à son père.

Celui-ci fronçait même les sourcils. Mais pas de colère ou de dégout. Il semblait sur ces gardes. Quelque chose n'allait pas.

- Où sont les sentinelles ? s'étonna Agar en comprenant.

Fariun lui fit signe de se taire en stoppant leurs chevaux. Au loin, des clameurs s'élevaient, provenant des entrailles de la ville. Les deux elfes se pressèrent de descendre et se dirigèrent vers la source de cette agitation après avoir laissé la charrette devant les portes de la ville.

Son père, semblant très bien savoir se diriger au milieu de ce dédale de rues, les mena jusqu'à une place magnifiquement décorée. Elle était couverte d'une multitude de petits carrés de tissus brodés rattachés entre eux et fixés au haut des bâtiments adjacents à la place, plongeaient l'endroit dans une lumière tamisée aux multiples teintes colorées.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? s'étonna Agar en découvrant la place noire de monde.

- On va essayer de le découvrir, décréta son père qui cherchait déjà un moyen de passer devant la foule.

Depuis les balcons ou sur les pavés décorés, les dalreniens scandaient des slogans étranges tels que : « Libérez les artistes ! », « L'art est libre ! » ou encore « Kéniré pacifiste ! ».

Plongé au milieu de la foule pour atteindre les premières lignes de la manifestation, Agar s'estima chanceux de ne pas porter son armure, au contraire de son père. Le capitaine récoltait les foudres des regards et des insultes le visaient depuis l'immensité de la foule. Sa tunique écrue se fondait d'avantage que le plastron or de son père et lui évitait ainsi de subir le même sort. Sa canne lui permettait même de ne pas se faire bousculer par les manifestants qui s'écartaient ploiement pour le laisser passer.

La foule s'agitait autour d'eux, visant Fariun plus ouvertement, allant même jusqu'à crier son nom et son grade en l'insultant à la grande surprise d'Agar qui ne pensait pas que son père était aussi connu et détesté. Des dalreniens finirent par lui barrer la route en l'empêchant de passer.

Agar réprima un juron. S'il s'arrêtait à son tour, un manifestant pourrait voir la ressemblance entre lui et son père. Il serait alors pris pour cible ce qui mettrait Fariun hors de lui au point de sortir son arme. Les esprits déjà chauds exploseraient alors et une bagarre sanglante serait sans nul doute la conclusion de cette mauvaise situation.

Agar devait avancer.

Il se faufila entre les personnes à sa gauche pour continuer son chemin. Le regard de son père lui brûlait le dos tandis qu'il le dépassait, la tête baissée. Agar attendit d'être suffisamment loin pour se permettre de relever les yeux, rabattant ses cheveux vers l'arrière d'un coup de main experte.

Devant lui, les kénirois s'engouffraient dans une grande rue menant directement au palais du Lyllun. Les murailles décorées entourant la demeure safranée préservée du pinceau des peintres protégeaient certes la personne la plus importante de la ville, mais la herse baissée traduisait la peur de l'homme.

Entrainé par la foule, Agar s'engagea à son tour dans la grande rue à la lumière du Soleil. Noyé dans le courant aveuglant, il manqua de tomber plusieurs fois. Sa canne glissait entre les pavés, ravivant ses blessures lorsqu'il devait se forcer à utiliser ses muscles endoloris pour rester debout.

Par Liha ! Pourquoi suis-je ici ? se demanda-t-il alors qu'il peinait à garder le rythme de la foule.

Agar priait pour que les kénirois ralentissent. Il ne tiendrait pas longtemps autrement. Malheureusement pour lui, les manifestant gardèrent leur allure soutenue.

- Sarna, maugréa-t-il tout bas.

Sans en comprendre la raison, quelqu'un prit son bras libre et se glissa en dessous pour le soutenir.

- Aide nous au lieu de jurer, plaisanta son sauveteur.

Agar regarda le jeune homme incrédule. Il lui donnait approximativement dix-huit ans – le même âge que lui. Ses cheveux roux en bataille, étaient tachés d'autant de peinture que ses vêtements bleus pourtant couverts d'un tablier. Sa peau également salie de divers couleurs laissait uniquement ses yeux cannelle intacts et joyeux.

- Vous aider à quoi ? articula Agar d'une voix forte pour passer au-dessus des cris les entourant.

- Libérer les askaniens voyons.

*

Un petit chapitre de plus avec quelques nouvelles de ce bon vieux Agar et la rencontre d'un petit personnage ! :3

Comme toujours n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé ça me fait toujours plaisir de lire vos avis ! ^^

Lundi prochain nous continueront avec ces deux dalreniens ;)

La Guerre de l'Aube et du Crépuscule [Tome 1 : Les prémices d'une guerre]Where stories live. Discover now