Chapitre XX : Les artistes askaniens

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« Si l'art est libre, les artistes ne le sont pas. »

*

Agar cru avoir rêvé. Le peintre venait-il réellement de prononcer les paroles que ses oreilles avaient entendues ?

- Libérez les askaniens ! reprit une femme à côté d'eux comme pour confirmer les dires du roux.

Cette fois-ci, les mots étaient clairs, puissant comme le marteau s'abattant sur le métal en fusion. Un rire nerveux passa ses lèvres alors que la foule se stoppait. La tête de la manifestation venait d'atteindre les murailles et frappait les pierres peintes comme pour sommer les soldats de les laisser entrer.

Depuis sa position plus reculée, Agar pouvait voir chaque sentinelle postée sur les hauteurs du grand mur décoré. Leur armure or, reflétant l'éclat du Soleil, les rendaient aussi aveuglants que visibles.

- Liberté aux artistes askaniens ! scanda le jeune homme en broyant les tympans d'Agar.

- Des artistes ? répéta-t-il, décrochant son regard des gardes.

- Tu t'attendais à quoi l'ami ? Nous sommes dans la ville des arts, répondit le roux comme si ses paroles coulaient de sens.

Agar eut un frisson. Les artistes de Kéniré venaient bel et bien de tout le continent - comme le lui avait raconté Yta. Son père devait certainement être au courant de cette étrange mixité au vu de ses nombreux voyages.

Mais que pensait-il de cela ?

Est-ce que la carapace entourant son Cœur de pierre avait craquelée, s'était fissurée devant la puissance pacifique que dégageait cette ville solaire ?

- Attention, l'interpela l'artiste en le sortant de ses réflexions.

Autour d'eux la foule se compressait, se fendait avec urgence et panique afin de laisser passer un groupe de cavaliers avançant rapidement en direction de la herse. L'escorte, composée de quatre chevaux noirs - deux ouvrant la voie et deux à la fin du cortège - sécurisait un trio de destriers tout aussi sombres. Les parures dorées qu'ils portaient s'associaient parfaitement avec les uniformes de cérémonie des trois officiers aux visages fermés. Ils inspectaient l'immensité de la foule avec mécontentement et dureté. Tous étaient drapés dans une cape rouge avec des brodures cousues de fil d'or. L'un des officiers voyait la sienne cachée par un passager en armure complète.

Père !

Fariun se tenait à l'un des officiers et scrutait lui aussi le flot de tête. Son regard était pourtant bien différent. Il le cherchait ! Il voulait savoir où se trouvait son fils.

- Pendant que ces étoilés passent, commença le peintre d'un ton amusé alors que les manifestants injuriaient les officiers, j'ai oublié de me présenter. Je suis Razil Tiliès ! Peintre des rues et volailler.

- Enchanté, répondit sobrement Agar d'un air distrait en essayant de garder son père en vue.

- Et tu es ? insista Razil toujours autant amusé et ne semblant pas s'offusquer du comportement du dalrenien.

Agar réalisa alors qu'il venait de manquer à toutes les règles de bienséance et se força à reporter la totalité de son attention sur le kénirois.

- Je suis Agar hum... Agar Corian.

Il se surprit à hésiter face à cette simple phrase toute faite, répétée des centaines de fois. Son nom était apparemment connu ici, ou du moins, celui de son père. Et Liha savait à quel point Fariun pouvait se donner mauvaise réputation lorsqu'il le voulait. Ses craintes furent confirmées lorsque Razil tiqua et qu'une grimace mi-amusé, mi-étonné se dessina sur son visage coloré.

La Guerre de l'Aube et du Crépuscule [Tome 1 : Les prémices d'une guerre]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant