Chapitre 4 : Adieux

5 2 0
                                    

Le soleil vient de se coucher, je ne risque donc pas de croiser âme qui vive, ce qui m'accommode tout à fait. Je suis d'une humeur massacrante.

J'ai le cœur lourd et la gorge nouée. Comment a-t-il pu ? Toutes ces années à haïr les monstres alors que je suis l'une des leurs...Je ne sais même pas ce que je suis précisément. Une métamorphe ? Une suçeuse de sang ? Une sorcière ? Toutes ces possibilités me dégoûtent. Je me dégoûte.

Sans que je comprenne comment je suis arrivée là, je me retrouve devant les appartements de Kyle, à l'autre bout du fort. Je n'hésite pas un seul instant et frappe à la porte. Il m'ouvre, vêtu d'une armure de la Garde, qui lui sied à merveille.

- Lynn ? Que fais-tu ici ? interroge-t-il en s'écartant pour me laisser entrer.

- Prépare ton baluchon, nous partons, je déclare tandis qu'il referme la porte derrière moi.

Il se fige sur place et me dévisage comme si j'étais devenue folle. Il ne semble pas vraiment convaincu par mon idée, et c'est bien la première fois.

- Lynn...Nous ne pouvons pas faire cela, regrette-t-il.

Ses mots me brisent le cœur. Il ne peut pas abandonner aussi facilement. Il ne peut pas m'abandonner moi aussi facilement.

- Si, nous le pouvons, je rétorque, et c'est ce que nous allons faire.

Je refuse. Il n'a pas le droit de laisser tomber. Pas maintenant. Nous pouvons nous enfuir. Nous pouvons franchir le Rempart, quitter l'île et aller vivre dans les bois, sur le continent. Je sais chasser, faire du feu, construire des abris, trouver de l'eau...Je sais que nous pouvons nous en sortir. Tant que nous restons ensemble, rien n'est impossible.

- Quel est ton plan ? lance-t-il. S'enfuir du fort le mieux garder du pays pour aller vivre comme des vagabonds ?

Je n'ai pas vraiment de plan, je n'ai pas eu le temps d'y réfléchir. Ce que je sais, c'est que je ne pourrais jamais vivre en paix en sachant que Kyle risque constamment sa vie et que je ne peux pas rester ici une minute de plus. Pas en sachant ce que je suis.

À quoi bon me donner tant de mal pour devenir Général si Magnus avait depuis le départ prévu que je n'intégrerai jamais la Garde ? J'ai l'impression d'avoir gaspillé les dernières années de ma vie.

En voyant que je ne réponds pas, il me sourit, mais pas de son habituel sourire espiègle, d'un sourire triste, résigné, qui le fait soudain paraître beaucoup plus vieux.

- Et tu crois que mon père laissera passer cela ? répond-il. Tu sais ce qui arrive aux déserteurs. Je refuse de te gâcher la vie.

Comment peut-il penser une telle chose ? Comment peut-il ignorer que, au contraire, il est ma raison d'être et que sans lui, rien de tout cela n'a plus de sens ? C'est lui et moi contre le monde.

Je cherche les mots justes pour lui exprimer à quel point il compte pour moi. Je cherche à lui donner une raison de rester à mes côtés. Mais rien ne vient, ma tête est vide de toutes pensées, si ce n'est que je suis sur le point de le perdre et que l'une des personnes que j'aime le plus m'a menti toute ma vie.

Sentant ma détresse, il s'approche et pose une main réconfortante sur ma joue.

- Le jour se lève à l'est, et voilà que ma garde commence. Je jure de protéger le royaume au prix de ma vie et de me battre avec courage et honneur aux côtés de mes frères, me rappelle-t-il. Jamais je ne fuirai un combat ou renoncerai à prendre les armes. Jamais je n'agirai dans un but égoïste mais seulement pour servir mon Roi. Je promets de protéger les innocents et de rendre justice.

Ce stupide serment qui rend notre garde officielle, celui qui nous empêche de faire marche arrière.

Après ce que je viens d'apprendre, je ne sais pas si ces mots ont encore un sens pour moi. Après tout, je fais partie des mauvais. De ceux qui pillent et ravagent des villages. Je suis ce que j'ai toujours haïs du plus profond de mon âme. Je fais partie de l'espèce contre laquelle je voulais défendre le continent.

Sa décision est prise. Il va partir, et me laisser seule ici. Je ravale les larmes qui me montent aux yeux tandis que nos regards s'accrochent l'un à l'autre.

- Alors, nous y sommes ? je demande malgré le nœud dans ma gorge. C'est la fin ?

Un faible sourire vient éclairer son visage, ce qui me réchauffe le cœur tout en me donnant envie de pleurer. Je vais le perdre. Et je ne peux rien faire pour empêcher cela.

J'étudie son visage pour la dernière fois, je veux me souvenir de tout ; des tâches de rousseurs qui constellent son visage comme des étoiles dans le ciel, la lueur malicieuse qui brille dans ses yeux sombres, son sourire auquel je suis la seule à avoir droit et le contact brûlant de sa peau contre la mienne.

Quand il passe son bras autour de mes épaules et m'attire contre lui, mon ventre se tord. J'ai de plus en plus de mal à retenir mes larmes, je voudrais lui dire à quel point il compte pour moi, à quel point il va me manquer mais je ne veux pas lui rendre la tâche encore plus difficile alors je me contente de le serrer fort dans mes bras. Je me blottis contre lui, je m'agrippe à ses vêtements comme pour essayer de le retenir.

Nous restons blottis l'un contre l'autre un long moment, j'en perd la notion du temps, trop secouée par les événements de la soirée.

Il finit par reculer. J'aimerais lui dire quelque chose mais ma gorge et mon cœur me font trop mal. Lui, il continue de sourire. Il prend ma main dans la sienne et y dépose quelque chose de froid et métallique qui ressemble à un médaillon.

- Prends-en soin, chuchote-t-il avant de planter un baiser sur mon front et de sortir de la chambre, baluchon sur le dos. 

La Prophétie des Ombres : Le Prince et l'Orpheline (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant