La Prophétie des Ombres : Le Prince et l'Orpheline (T1)

Chapitre 30 : Magie noire

Seth, agenouillé devant moi, bande maladroitement mon poignet, comme Kyle a dû le faire des centaines de fois après nos entrainements, ce qui en temps normal m'amuserait, mais pas ce soir. Pas quand, dans la pièce adjacente, Marha tente d'empêcher Dihya de se vider de son sang.

Je sais que son don est précisément fait pour ce genre de situation mais la Magie a des limites et la blessure de Dihya est mortelle.

Si August l'avait transpercée avec une épée en acier ordinaire, cela n'aurait eu aucun effet, la plaie se serait refermée d'elle-même, mais le Prince possède une épée en acier Elfique. Je ne sais pas où il se l'est procurée mais j'espère qu'il est le seul de la Garde à posséder une arme de ce type.

Nous ne sommes pas retournés chez Marha. C'était bien trop risquer. À la place, Seth nous a emmenés dans ce qu'il appelle "sa tanière" mais ce n'est en réalité rien d'autre que la vieille cave d'une maison abandonnée aux abords de la ville.

- Edlynn, fait Seth en remarquant mon air préoccuper. Ce n'est pas de ta faute.

- Bien sûr que si, je rétorque, sur la défensive.

Il lève les yeux au ciel, exaspéré.

- Non, tu n'as rien fait de mal, tu as simplement tenté de sauver notre amie. Le seul que tu aies le droit de détester pour ce qui est arrivé, c'est ce salopard de Roi et son enfoiré de fils.

 Je plonge mon regard dans ses yeux émeraudes remplis de douleur. Le Roi l'a déjà tellement fait souffrir avec cet horrible camp et, aujourd'hui, il risque de perdre une des personnes qu'il aime le plus au monde par ma faute.

Une larme perle au coin de mon œil mais Seth l'essuie d'un geste avant même qu'elle est le temps de couler.

- Nous n'avons pas le luxe de pouvoir pleurer sur notre sort, me rappelle-t-il.

Il a raison. Nous devons aider Dihya à se remettre sur pieds et se tirer d'ici vite fait avant que la Garde ne nous tombe dessus. Si seulement je l'avais écoutée quand elle a voulu partir...

- Edlynn, Seth ! nous appelle Marha dans la pièce d'à côté.

Tremblante, je me relève avec l'aide de Seth. J'ai dû mal à tenir sur mes jambes et mon poignet me fait atrocement souffrir. Marha ne s'est pas occupée de nos blessures à Seth et moi pour se concentrer sur celle de Dihya.

Seth glisse sa paume dans la mienne et entremêle nos doigts.

- Tout va bien ? s'enquiert-il.

- J'ai connu mieux mais Dihya est dans un état bien pire que le mien, je lui assure.

Elle est allongée sur une table dans ses sous-vêtements blancs tâchés de rouge. La vue de sa plaie béante me fait tressaillir mais je n'en montre rien et serre un peu plus la main de Seth dans la mienne. Il faut que je garde la tête froide.

- Seth, j'ai besoin que tu ailles chercher certaines choses à la maison, demande Marha. Je t'ai fait une liste. (Elle lui tend un bout de papier avant de se tourne vers moi). Edlynn, quand Seth sera revenu, il faudra que tu maintiennes Dihya pendant que je recouds sa plaie.

Je déglutis. Je ne suis pas sûre d'avoir les nerfs assez solides pour cela mais si c'est la seule solution pour sauver Dihya...

- Tout ira pour le mieux, m'assure-t-elle mais son air épuisé et inquiet la contredit.

Alors que Seth s'en va chercher ce que Marha lui a demandé, je m'approche du corps inerte de Dihya. Sa peau est recouverte d'une fine pellicule de sueur et elle est devenue aussi pâle qu'un linge. On la croirait déjà de l'autre côté. Cette vision me laisse un arrière-goût amer dans la bouche.

Dans la cheminée, un feu crépite pour maintenir la température au-dessus des 20 degrés.

- J'ai réussi à arrêter l'hémorragie, m'informe Marha tandis que je glisse ma main dans celle, fébrile, de Dihya. Elle va s'en sortir.

Je fais tout pour éviter de regarder le large trou dans son ventre, de peur de m'évanouir. Elle aurait presque l'air paisible si une grimace de douleur ne déformait pas son visage. Il faut qu'elle s'en sorte. Je ne me le pardonnerais jamais si elle meurt.

- T'as pas le droit de me laisser tomber, je menace en espérant qu'elle m'entende.

Sans que je sache trop pourquoi, l'idée de la perdre me terrifie.

Je ne sais combien de temps je reste à son chevet, lui tenant la main, mais je ne la lâche que quand Seth revient avec un sac charger de livres et d'herbes.

Les choses sérieuses peuvent commencer. Marha mélange et broie tout un tas d'épices, d'herbes et d'huiles dans un bol avant de transférer le mélange dans une seringue. Elle s'équipe de cette dernière, d'un fil et d'une aiguille. Je me mets en position, prête à intervenir.

D'un coup sec, Marha plante la seringue dans la blessure de Dihya et y déverse le contenu. Une sorte de mousse verte en sort, Dihya commence à s'agiter. Je lui attrape les poignets pour l'immobiliser alors que Marha entreprend de recoudre sa plaie avec une aiguille préalablement chauffée à blanc.

Elle se débat avec véhémence pour se dégager mais je la serre si fort que je manque de lui couper la circulation. J'essaye de me concentrer sur son visage pour ne pas voir Marha enfoncer l'aiguille dans sa chair. Seth me vient en aide en attrapant ses jambes tandis que Marha marmonne des paroles incompréhensibles. Je ne m'y connais pas beaucoup en Magie mais cela ressemble à une incantation.

- Marha, qu'est-ce que tu fais ? s'inquiète Seth.

Elle ne répond pas. C'est comme si elle ne l'avait pas entendu.

Elle continue de marmonner en recousant la plaie. Les lumières autour de nous se mettent à vaciller. Le feu de cheminée tremble et le sol se met à gronder, ce qui ne déconcerte pas Marha pour autant. C'est comme si elle était ailleurs, dans un lieu où rien ne pouvait plus l'atteindre.

- Que se passe-t-il ? je demande à Seth qui n'a pas l'air surpris, contrairement à moi, mais inquiet.

Il garde le silence, ce qui ne fait qu'accentuer mon angoisse. Il dévisage Marha comme si c'était elle qui était sur le point de rendre l'âme. Je n'aime du tout cela.

Le tremblement est si intense que de la poussière tombe d'entre les lattes en bois au-dessus de nous, la bâtisse craque de partout.

Alors que je me demande si la maison ne va pas s'effondrer sur nos têtes d'un instant à l'autre, tout s'arrête subitement. Plus de tremblement, plus d'incantations marmonnées, plus de craquement. Dihya cesse de se débattre. Tout redevient calme.

Marha s'assure que ses points tiennent bien puis coupe le fil. Elle range son matériel et se dirige vers le lit, qui se résume à un tas de paille.

- Vous devriez aller vous coucher, suggère-t-elle. Il est tard.

Je suis vidée de toute énergie, secouée par tout ce qu'il vient de se passer et j'ai tellement mal à la tête que j'ai l'impression que mon crâne est en train de se fissurer très lentement, comme un barrage sur le point de céder. Mais je ne dormirais pas. Pas en sachant que Dihya est en train de souffrir le martyr. Je m'installe près d'elle.

- Regagnez vos couchettes, je veille sur elle, je leur assure.

Comme elle a veillé sur moi.