La Prophétie des Ombres : Le Prince et l'Orpheline (T1)

Chapitre 15 : À la nuit tombée

Je me dirige vers la chambre de ce dénommé Seth après avoir dégusté un fade repas mais qui a le mérite de m'avoir rassasiée.

Toujours aucun de signe de Dihya et la lune est haute dans le ciel. Marha reste de marbre, son comportement à changer subitement du tout au tout et l'absence de Dihya ne semble pas l'inquiéter. J'essaye d'en faire autant.

La chambre de Seth n'est pas bien grande, minuscule en fait comparé à mes appartements au Vieux Fort, mais elle est bien meublée ; un lit unique, une table de nuit, un bureau, une grande armoire dans laquelle on pourrait cacher une famille entière et une bibliothèque de fortune, bricolée avec quelques planches et un marteau.

Il y a aussi de grands tableaux aux murs, représentant divers paysages, et une large fenêtre encadrée de somptueuse rideaux qui donne sur la rue. Tout ici semble avoir déjà servi au moins une fois.

Je me laisse tomber sur le lit et entreprends de tressés mes cheveux encore mouillés. Cela me rappelle les longs doigts de Kyle se glissant dans mes cheveux pour les coiffés. Mon cœur se serre.

Je m'allonge dans les draps rugueux de mon hôte et tente de ne pas penser à Kyle et la Garde. Mes pensées dévient alors sur ce que j'ai fait à cet homme l'autre nuit et sur ce que lui m'a fait. Chaque fois que je pense à lui, je ressens un dégoût si profond que mon estomac se retourne.

Je ne parviens pas encore à réaliser que je suis un monstre. Cela me terrorise bien plus que ce que je ne veux bien admettre. Je n'ai aucune idée de comment user de mes donc, ni de leurs natures.

Je me tourne vers la fenêtre.

Dihya n'est toujours pas rentrée. Et si elle avait besoin d'aide ? Je n'ai vu ses talents au combat que très brièvement mais je peux déjà affirmer qu'elle est douée. Il ne lui a pas fallu plus de cinq minutes pour venir à bout d'un adversaire aussi coriace que ce Rægan. Cependant, comment s'en sortirait-elle face à une dizaine de soldats ayant été formés par les meilleurs épéistes du continent ?

Et puis, pourquoi m'en soucier ? Si elle ne revient pas, je serais libre.

Pourtant, c'est plus fort que moi.

Je repousse les couvertures, saute dans mes vêtements et, depuis la fenêtre ouverte, me jette sur le toit de la maison qui me fait face.

Je ne sais pas trop ce qui me prends, peut-être une envie d'aventure et de combat.

Je saute de toit en toit, scrutant les rues aux alentours à la recherche de ma ravisseuse. J'aperçois une bonne dizaine de Gardes en contrebas, ainsi qu'une ribambelle de marchands et d'artistes de rue qui se rendent sur la place, mais aucune trace de Dihya. Et si elle avait été arrêtée ?

Des éclats de voix attirent mon attention un peu plus loin. Je n'entends pas bien ce qu'ils disent, mais il me semble reconnaître la voix d'August, le Prince Héritier. Que fait-il ici ? Est-il à ma poursuite ? M'a-t-on reconnue ?

Distraite, alors que je m'élance sur une autre toiture, je glisse sur une tuile cassée et bascule en arrière.

Je me sens tombée dans le vide, sans rien à quoi m'accrocher. Mon cœur cesse de battre pendant un instant tandis que je réalise que ma chute sera mortelle.

Quand soudain, un bras s'enroule autour de ma taille et je me retrouve plaquée contre un torse squelettique, un bras inconnu enroulé autour de ma taille.

Je sens mon cœur marteler ma cage thoracique, comme s'il cherchait à s'en échapper, tandis que le soulagement déferle dans mes veines.

Je relève la tête pour remercier mon sauveur, m'attendant à voir la tignasse rousse de Dihya, mais je tombe sur des yeux clairs et des cheveux sombres dont la couleur est difficile à identifier dans l'obscurité nocturne.

L'inconnu me scrute de haute en bas, la tête penchée sur le côté et un sourire au coin des lèvres. J'ai l'impression que la foudre s'abat sur moi.

Je ne parviens pas à détourne le regard de ses yeux clairs et de son sourire ravageur et rougis quand je prends conscience que cela doit faire une bonne dizaine de minutes que je suis vautrée contre lui.

- Tu as bien failli tombée de haut, se moque-t-il sans me lâcher.

Je rougis d'avantage, me sentant soudain vulnérable.

- Je maîtrisais parfaitement la situation, je réplique en m'arrachant de sa prise.

- Puis-je savoir pourquoi tu sautes de toit en toit au beau milieu de la nuit ? interroge-t-il sans lâcher son sourire.

Je le jauge un instant. Il ne doit pas avoir plus de 16 ans vu son allure de maigrichon. Ses cheveux sont un véritable champ de bataille, où un oiseau pourrait aisément s'y nicher. Son sourire creuse deux fossettes dans ses joues, détail qui me provoque une étrange sensation dans le ventre. Ses pommettes sont saillantes et son visage bien dessiné. Que fait-il ici ? En pleine nuit ? Sur les toits ?

- Je te retourne la question, je rétorque.

- Je parcours chaque soirs les toits à la recherche de demoiselles en détresse, raille-t-il.

- Je ne suis pas une demoiselle et je n'étais pas en détresse, je réponds sèchement.

D'un coup d'épaule, je l'écarte de ma route mais il m'attrape le poignet.

- Attends, tu ne m'as toujours pas dit ce que tu faisais là, m'interpelle-t-il.

Je lève les yeux au ciel.

- Je cherche quelqu'un.

- Peut-être que je peux t'aider dans ce cas. Je connais cette ville comme ma poche.

J'hésite. Dihya me tuerait si elle savait que j'ai fait confiance à un inconnu. D'un autre côté, je ne connais rien de cette ville et son aide me serait précieuse.

- Très bien, j'accepte.

- Fantastique, avec moi comme guide, nous allons retrouver cette personne en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, affirme-t-il avec un grand sourire. Au fait, je m'appelle Seth.

Je manque de m'étrangler. Seth ? Est-ce celui dont Marha parlait ou bien est-ce une simple coïncidence ?

- Seth ? je répète.

- Le seul et l'unique, et toi, ni demoiselle, ni en détresse, quel est ton nom ?

Je le jauge de haut en bas. Il n'est pas vraiment ce que je m'étais imaginé. Je le voyais plus jeune.

- Edlynn.

- Eh bien Edlynn, tu me dois une faveur, étant donné que je viens de te sauver la vie, me taquine-t-il.

- Vraiment ? fais-je en haussant les sourcils. Alors écoute, voici un conseil qui pourrait te sauver la vie, à ta place je quitterai le continent avant que Marha ne me tombe dessus.

À l'évocation de mon hôte, son sourire s'efface.

- Tu as dit Marha ? répète-t-il.

- C'est l'amie de la personne que je cherche. C'est elle qui nous héberge.

- Dihya ? comprend-il. Elle est ici ? C'est elle que tu cherches ?

J'acquiesce.

- Laisse tomber, lâche-t-il. Je ne sais pas ce que tu lui veux mais tu n'as aucune chance de la retrouver. Viens, je te ramène.

Me ramener ? Pour qui se prend-il ? Ma gouvernante ? Dihya aurait dû rentrer il y a des heures, elle pourrait avoir besoin d'un coup de main...Hors de question que je l'abandonne.

- Je croyais que tu connaissais cette ville comme ta poche et que nous la retrouverions en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ?

- Nous ne la retrouverons pas, crois-moi, alors tu ferais mieux de rentrer te coucher. Il ne vaut mieux ne pas traîner ici la nuit, demoiselle en détresse ou pas.

- Je dois la retrouver, il faut que nous partions...

- Edlynn, écoute ma voix, me susurre-t-il à l'oreille d'une voix rauque. Tu es fatiguée, tes paupières sont lourdes et tu ne tiens plus debout. Endors-toi, laisse-toi happée par le sommeil.

Je m'écroule de fatigue, dans les bras de Seth.