Chapitre 25 : Fugue

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La première vison qui s'offre à moi lorsque j'ouvre les yeux c'est le visage de Seth dont le nez frôle le mien. Je sens son souffle tiède et régulier se mêler au mien et l'espace d'un instant, je suis tentée de glisser ma main dans ses cheveux en bataille, mais le bruit d'une théière qui siffle dans la cuisine me ramène à la réalité. Oublie-le, Edlynn.

- Bonjour, me souffle Seth en ouvrant les yeux.

- Bonjour, je réponds en réprimant un sourire.

Un silence paisible s'installe tandis qu'il me dévore des yeux. Je m'attends à ce qu'il m'embrasse à nouveau mais il se contente d'un sourire niais. C'est sûrement mieux ainsi.

- Tu as faim ? me demande-t-il.

- Je suis affamée, je réponds.

Nous rejoignons la cuisine en silence. Dihya est là, en train de fouiller les placards et d'en sortir des tas de choses ; épices, thé, viande séchée. Elle m'adresse à peine un regard.

Mon cœur se serre mais je tente d'ignorer cette horrible sensation qui grandi dans mon ventre. Je n'aurais jamais dû me prendre d'affection pour elle.

- Rassemble tes affaires, nous partons ce soir, décrète-t-elle en jetant toutes ses trouvailles dans un sac en toile.

- Quoi ?! s'exclame Seth. Mais ce soir c'est la fête des Lucioles !

- Justement, réplique-t-elle sans lever les yeux. Les soldats de la Garde seront trop concentrés sur la fête pour nous prêter attention, c'est le moment idéal. Nous volerons une calèche.

Elle relève enfin la tête et ses yeux croisent les miens. Ils ne trahissent aucune émotion, aucun regret. Pourtant, elle va devoir quitter Marha et Seth, sa famille. Elle s'efforce de se montrer forte, infaillible, comme si rien ne l'atteignait. Mais je sais qu'au fond d'elle, elle a le cœur brisé.

Quant à moi, je suis terrifiée. Si nous partons ce soir, cela signifie que d'ici trois jours nous aurons atteint Folleifyll et que je me retrouverai livrée aux mains de cet inconnu. Ce sera alors pour moi l'occasion de mettre les voiles. Pourtant, j'éprouve des sensations contradictoires.

Je repense à la douceur des gestes de Dihya lorsqu'elle m'a prise dans son giron après un horrible cauchemar. Je songe aux lèvres de Seth et à ses mains sur mon corps. Je me rappelle le sourire de Marha et sa gentillesse à mon égard.

Un sentiment de profonde détresse m'envahit. Puis, la prédiction de la Fæ vient obscurcir le paysage. Quelqu'un de puissant en a après toi.

Et si cet homme était dangereux ? S'il me voulait du mal ? Si je ne parvenais pas à m'échapper ? La panique me saisit, mes poumons se vident d'air, mes mains trembles.

Je me réfugie dans la chambre de Seth et ferme la porte à clé derrière moi, le cœur lourd. Je rassemble le peu d'affaires que j'ai en tentant de ne pas céder à l'hystérie.

Je ne supporte pas la distance que Dihya a mise entre nous, je ne supporte pas l'idée de devoir quitter Seth, de ne pas pouvoir laisser libre cours à mes sentiments sans que ma Magie ne vienne tout gâcher, je suis terrorisée à l'idée de rencontrer ce mystérieux client.

On frappe à la porte. Tremblante, j'ouvre, m'attendant à tomber sur Seth, mais c'est Dihya qui se tient devant moi.

- Je suis presque prête, je lui assure en faisant de mon mieux pour camoufler le tremblement dans ma voix.

La laissant en plant sur le pas de la porte, je retourne fourrer mes affaires dans mon sac en toile en tentant d'éloigner mes pensées étouffantes.

- Je suis désolée, déclare-t-elle.

Je me fige. Je dois dire que je ne m'y attendais pas.

- De me vendre à un inconnu ? je rétorque avec une pointe de sarcasme. Sans rancune.

Je recommence à ranger sans plus lui prêter attention.

- Ce tatouage...Tu n'as aucune idée de ce qu'il représente, répond-elle.

- C'est une flamme, dis-je.

Je me tourne enfin vers elle pour observer sa réaction. Comme tout à l'heure, son visage ne traduit aucune émotion mais son regard semble perdu dans le vide.

- C'est là-bas que tu as eu ta cicatrice, n'est-ce pas ? je comprends.

Sortant de sa torpeur, elle lève les yeux vers moi puis elle pousse un long soupire avant de s'assoir sur le bord du lit.

- Après avoir assassiné ma famille, la Garde m'a envoyé au camp, creuser dans les mines, raconte-t-elle. J'avais ton âge. J'en ai sacrément bavé là-bas entre la famine, les coups et la douleur de la perte de ma famille. Je ne le souhaite à personne...mais cela m'a endurcie.

Elle fait tourner son anneau d'obsienne, qu'elle porte à la main gauche, autour de son doigt tout en continuant son récit.

- Puis un jour, une fille aux cheveux noirs m'a souri. Personne ne souriait jamais. Mais elle, si. J'ai immédiatement senti le lien qui nous unissait. Je l'ai observée de loin pendant plusieurs jours. Elle aidait tout le monde, soignait les blessés grâce à son don et défendait les plus faibles. Elle a même donné son pain à un petit garçon affamé. Je me suis jurée de les faire sortir de là à tout prix. Un jour, elle est intervenue alors qu'un gamin se faisait fouetter pour avoir voler une simple pomme. Le Garde a tenté de s'en prendre à elle mais je me suis interposée. Le fouet m'a salement amoché. J'ai failli perdre mon œil mais grâce à cette petite fille, je m'en suis sortie.

Je l'écoute sans l'interrompre du début à la fin. Malgré ce qu'elle veut faire croire, elle tient à eux plus que tout, j'en suis convaincue.

- Tu me rappelles un peu moi, ajoute-t-elle avec un demi sourire.

Je repense à ce que Seth m'a dit sur elle quand nous étions sur le toit du temple. C'est ainsi avec Dihya. Elle fait toujours passer son travail avant ses sentiments. Après ce qu'elle vient de me raconter, je n'y crois pas une seule seconde. Elle était prête à mourir pour Marha.

- Pourquoi as-tu tué cet homme ? j'interroge. Celui qui a recueilli Marha et Seth ?

Son expression change du tout au tout, elle se referme à nouveau.

- Parce qu'on m'a payé pour le faire, répond-elle. Et parce que cet enfoiré méritait de crever. Comme cet homme qui t'as agressé l'autre soir.

Ma vision se brouille de larme quand je repense à cet homme et à ses mains mais je repousse ce souvenir.

- Nous partirons à la tombée de la nuit, déclare-t-elle avant de sortir.

Je sais qu'il y a des centaines de choses qu'elle ne me dit pas. Comme ce que cet homme a bien pu faire pour mériter de mourir.

Peu importe, cela ne me regarde pas, je serais bientôt partie. Mes entrailles se tordent à cette idée. J'ai peur de partir, peur d'être livrée à cet inconnu. J'ai l'impression d'étouffer. Il faut que je sorte d'ici.

Sans que je comprenne comment je suis arrivée là, je me retrouve sur les toits de la ville alors que le soleil atteint déjà son point culminant. Je fais ce que j'aurais dû faire depuis le début, je prends la fuite, le plus loin possible de Dihya. Je ne veux pas qu'elle me retrouve et qu'elle m'amène à cet homme. Je veux garder ma liberté. Alors j'accélère. 

La Prophétie des Ombres : Le Prince et l'Orpheline (T1)Where stories live. Discover now