Partie I - Chapitre 5 : La rescapée

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MEXI

Mexi tendit le bras vers la pierre saillante du mur de cette nouvelle cellule. Il y avait passé plusieurs jours, déjà, dans cette cellule.

Comme à chaque fois, il regarda en bas.

Tout au fond de la Faille, les nuages étaient gris et épais. Il devait pleuvoir, là-bas.

Il ferma les yeux un instant, suspendu au mur qui séparait les cellules, avancé au-dessus du vide.

Quelques bribes de souvenirs traversèrent son esprit.

Des flammes. Du sang. De l'amour. De la haine.

Il avait presque oublié les visages des membres de sa famille.

Il rouvrit les yeux

Sans réfléchir, il refit son acrobatie habituelle, pour se rendre dans la cellule d'à côté.

Sauf que cette fois, quelque chose n'allait pas

Son pied n'avait pas rencontré le sol en pierre. Il ne pouvait pas se projeter vers le haut.
Une partie du sol de la cellule avait dû s'écrouler

Il sentit son corps retomber mollement dans le vide. Il avait mis trop d'inertie dans son mouvement, impossible de revenir en arrière

Il n'osait même pas fermer les yeux. C'était comme ça que ça allait se terminer pour lui ? Si proche de son but, si proche de la liberté ?

Il attendit la chute, sans un mot

Elle ne venait pas

Il releva la tête

Il ne chutait pas du tout en fait

Quelqu'un lui avait saisi la cheville.

Sans réfléchir, il contracta ses muscles abdominaux, pour aller attraper les épaules de son sauveur

La personne poussa un gémissement de douleur; Mexi réussit à saisir le bord du sol de la cellule, les jambes ballantes dans le vide.

Celle qui s'avéra être une vieille femme l'aida tant qu'elle put à se hisser, jusqu'à s'allonger tous deux sur le sol, sans dire un mot pendant plusieurs minutes.

Mexi finit par se redresser, assis en tailleur, et de regarder le vide, au loin :

"M-Merci..." Balbutia-t-il maladroitement, la voix rauque de ne pas avoir parlé depuis des boucles et des boucles.

"Pas de quoi." Lui répondit la dame, en s'asseyant à son tour.

Mexi put observer son visage ; elle était ridée de la tête aux pieds, marque qu'elle avait dû vivre sous la lumière puissante des nuages pendant une bonne partie de sa vie. Des cicatrices profondes marquaient son visage, dont une, particulièrement impressionnante, sous son œil gauche.

Il comprit qu'elle le jaugeait aussi ; lui, jeune homme aux cheveux longs et sales, à la silhouette svelte.

"T'es pas le premier à le tenter..." Continua-t-elle en croquant dans ce qui devait être, fut une époque, un trognon de pomme.

"Y'en as eu d'autres qui sont passés par là ?"

"Quelques -uns, oui... Moi-même j'ai déjà fait plusieurs passages."

"...Et ?" S'aventura Mexi, les lèvres retroussées. Il ignorait s'il avait vraiment envie d'entendre la réponse.

"...Et, je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un qui aurait réussi à s'échapper de la Géhenne."

Les épaules de Mexi s'affaissèrent. Alors, c'était sans espoir ?

Il regarda vers le bas, le vide du Ciel.

Peut-être qu'ils avaient raison, les gardiens de la Géhenne. Peut-être qu'il n'y avait pas meilleure issue que la mort.

"C'est quoi, ton nom, gamin ?"

"Mexi."

La vieille dame s'était rapprochée de lui. Leurs épaules se touchaient presque.


Mexi constata, de plus près, qu'elle était encore étonnamment musclée pour son âge -présumé. Elle devait être dans sa soixantaine. Elle avait dû être une guerrière, ou un truc du genre.

"Eria."

"D'Aeroth ?" Supposa-t-il

"Ouais. Toi aussi ?"

"Non..." Mexi se recroquevilla légèrement. Il n'avait jamais trop aimé parler de son passé. Mais là, ça faisait si longtemps qu'il n'avait pas vu quelqu'un...

"Oh... Tu viens de Nova Insula..." Comprit Eria, compatissante

"Au moins, toi, tu l'appelles par son vrai nom..."

"Pourquoi tu t'es retrouvé ici, Mexi ?" Le coupa-t-elle, en jetant le dernier morceau noirci de l'affreuse chose qu'elle mangeait depuis le début de la conversation.

Le jeune homme réfléchit. Lui-même n'était pas sûr des raisons de son incarcération. Pour lui, c'était injuste. Il s'était battu pour la liberté. Pour une personne du camp d'en face, il était enfermé pour avoir résisté à l'autorité.

"J'ai été victime des envahisseurs des Îles." Résuma-t-il simplement. Alors que c'était tellement plus complexe.

"Ça fait combien de temps ?"

"J'ai arrêté de compter. Au moins quatre cycles."

"Tu comptes en cycles..." Remarqua Eria

"Ma... Mère était... elle venait de Fantasmagoria."

"Ah...Tu fais partie de cette courte génération..."

"Et toi, alors ?" Enchaîna Mexi. Il commençait à être franchement mal à l'aise de parler de lui, de son passé, et surtout, de sa mère.

Eria s'abstint de répondre, pendant un moment.

Elle ne prit la parole qu'au bout de quelques minutes, en se relevant :

"L'heure de la Colère des Nuages arrive. Tu peux passer la nuit ici, si tu le souhaite. Si tu as besoin de passer dans la cellule d'après, je pourrais t'y aider."

Elle alla s'allonger dans un coin de la pièce, dos à lui.


Mexi s'assit contre le mur, une jambe repliée vers son torse. En effet, les nuages diurnes commençaient à se retirer d'au-dessus de la Faille.

"... Et si t'essayes de me toucher pendant mon sommeil, j'hésiterais pas à te jeter dans le vide." Rajouta Eria, la voix traînante.

Mexi ne put s'empêcher d'afficher un léger sourire. On ne pouvait faire confiance à personne, dans le monde. Encore moins dans la Géhenne.Au moins, pour la première fois depuis des lustres, il avait trouvé quelqu'un à qui parler.

***

Échos de la Faille - Chroniques de Fantasmagoria - Livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant