Chapitre 3 :

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Elle leva finalement les yeux vers les deux passagères présentes après un long moment à regarder ses chaussures. Une femme à la peau pâle et aux cheveux noir corbeau lui sourit et se présenta :

—Je suis Irnivra, reine du royaume, et voici ma fille Élisabeth, que vous devez sûrement haïr, puisqu'elle devait supposément se marier au Darmüs.

Ariette n'eut même pas la force de tenter de lui faire une courbette pour lui montrer son respect. À dire vrai, elle ne sembla pas en faire grand cas puisqu'elle continua sa phrase :

—Je suis étonnée qu'il vous ait choisi, vous. De toutes les femmes qu'il pouvait avoir, il s'est penché sur la plus modeste des créatures. Vous possédez cependant un charme certain.

—C'est un compliment ? osa la jeune épousée, déboussolée.

—Je m'abaisse rarement à ce genre de superficialités. Prenez-le comme vous le voulez.

Puis, Irnivra regarda au-dehors, par la petite fenêtre ronde du carrosse où on apercevait une curieuse silhouette humanoïde fendre les cieux :

—N'est-il point magnifique, votre conjoint ?

Ariette se demanda pendant un moment ce qu'elle devait en répondre, elle dirait assurément quelque chose d'inadapté et peut-être que la reine se vexerait. Pour autant, elle ressentait une sorte de sentiment amorphe qui croissait de plus en plus. La vie n'avait plus guère d'importance après cette vaste farce de noce arrangée.

—Il est affreux.

—Vous changerez d'avis, ou pas, après tout, votre mariage, je ne suis pas certaine qu'il soit destiné à durer.

—Je vais mourir, à votre avis ?

—Non. Il y a bien longtemps que plus personne n'est décédé des mains du Darmüs.

—Et de ses griffes alors ? questionna la jeune femme.

Irnivra se mit à rire et rétorqua :

—Ça, c'est un autre sujet.

Son sourire rendait son visage sinistre et lui donnait l'air d'un loup qui se repaît d'une misérable proie tombée dans l'abîme de la mort. Ariette la trouvait sympathique à sa façon, mais tout aussi étrange, car sa fille pourrait se retrouver dans la même situation qu'elle :

—Cette pauvre enfant est complètement crétine et inconsciente de ce qui l'entoure. Elle est frappée d'une malédiction, fit la reine comme si elle lisait dans ses pensées.

Élisabeth ne voyait rien, ses yeux vagues fixés sur sa mère ne se rendaient aucunement compte de sa présence, immobile et stupide. La bouche entrouverte, elle bavait sur le sol. Ariette eut le souffle coupé d'horreur :

—C'est le Darmüs qui l'a ensorcelé ? demanda-t-elle.

—Une magie plus primitive, si vous voulez mon avis, affirma Irnivra. Cette pauvre enfant devrait mourir le plus tôt possible. Son père, en revanche, a refusé de la tuer, trop aimable de sa part.

—Je trouve la décision louable.

—Elle n'est pas honorable. Ce n'est pas lui qui doit lui changer ses langes alors qu'elle est à présent une adulte. Mais, je crois qu'elle lui rappelle quel monstre il est.

—Ne dites pas cela de votre mari !

—Vous dites des choses plus graves sur le vôtre, fit-elle remarquer avec un sourire sournois. Ne vous tracassez pas, je vois l'éclat d'argent autour de votre cou. Cela vous sauvera la vie.

—Ce collier a un effet sur le Darmüs ?

—Ça brûle les malintentionnés. Ça fera votre bonheur, utilisez-le seulement en cas de danger de mort.

—Et s'il utilise la ... magie sur moi ?

—Il ne le fera pas. Pas tant que vous ne le demandez pas.

—Il faudrait être stupide pour commander à être la cible d'un sort de magie noire ...

—Vous le demanderez peut-être, ou non, je ne serais pas dans votre esprit pour le deviner.

—Que vais-je devenir ? voulut connaître Ariette, emplie d'angoisse.

Irnivra regardait dehors avec un air rêveur, elle sourit et rétorqua affablement :

—Dans le monde des humains, Comtesse du château des Cendres. Dans un monde au-delà du nôtre ...

—Eh bien ?

—J'ignore si je peux vous le dire.

—Dites-le. S'il vous plaît. J'ai besoin de savoir. Si je ne le sais pas, je vais agoniser toute tourmentée.

—Il ne me l'autoriserait pas.

—Qui ?

—Qu'importe. Sachez juste que vous ne mourrez pas.

—Vous ne m'avez pas répondu.

—Bien sûr que je l'ai fait. Nous vous préparerons pour le buffet de ce soir. Ce n'est pas tous les jours que nous accueillons un tel événement.

—Je ne veux pas y aller.

—Votre époux serait fort déçu si vous ne veniez pas.

—Je ...

—Nous nous occuperons de tout. Je vous placerais près de moi, nous parlerons de vos futurs devoirs, en tant que Comtesse.

—J'ignorais que mon mari possédait un titre.

—Le Roi Edgar lui a confié des terres au nord, où il montera la garde pour surveiller les Darmüs restants.

—Je croyais qu'il avait exterminé sa propre race ...

—Personne n'est assez courageux pour aller vérifier. Et puis, plus il est loin du château, mieux les autres sujets se portent.

—C'est une excuse pour l'éloigner !

—Vous auriez fait pareil, rétorqua Irnivra. Mieux vaut qu'il soit loin de votre famille, et d'innocents, non ? Ne vous en faites pas, le Château de Cendres est magnifique, et, près d'une immense forêt, cela va grandement vous plaire.

—Je me sens déjà toute réjouie, fit-elle en grimaçant.

—Ce n'est pas tous les jours qu'une paysanne passe à Comtesse en à peine quelques heures ! Edgar et votre mari sont très proches, ne vous tracassez pas, vous serez couverte d'or et de richesse.

—J'aurais préféré continuer à vivre mon quotidien ...

—Que ne faut-il point entendre ? Heureusement que nous sommes que toutes deux !

—Trois, grinça Ariette.

—Oh, cette fille ? Je vous l'ai dit, elle est incapable de répéter quoi que ce soit, elle n'est pas foutue comme les autres.

—C'est cruel de se moquer d'elle.

—Vous êtes bien aimable de vous soucier d'une pauvre âme comme elle, sachez simplement qu'elle n'en possède pas !

—Quoi donc, d'âme ?

Irnivra se tut en souriant narquoisement. Ariette ignorait si elle était sérieuse à ce propos, tout de même, comment pouvait-on vivre sans âme ? Mais, Élisabeth vivait-elle ? Pouvait-on la considérer ainsi alors qu'elle ne semblait rien voir, rien entendre ? Évidemment, Ariette préférait, sur ce point, son sort sur la question. La pauvre fille ne devait certainement pas comprendre son avenir si elle se mariait au Darmüs. Au moins, elle ...

Elle était capable de s'en plaindre et pouvait tenter de se soustraire à cette infâme union. Il lui semblait presque que la reine, mystérieusement, partageait certains de ses points de vue. Pour autant, Ariette se retrouvait bien incapable d'avouer lui faire confiance. Quelque chose clochait chez elle, peut-être à cause de sa cruauté qui embrassait une tendresse feinte ?  

Coeur d'Or (Seconde Version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant